Jacques Derrida, la déconstruction et le pharmakon
13 octobre 2004

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CHASSAING Jean-Louis
Textes
Freud

 

Bien sûr il y a eu cette \ »attitude\ », la déconstruction ; je laisserai aux philosophes le soin de parler ainsi du travail de Derrida, n\’étant pas un habitué des textes difficiles du philosophe.

Il y eut ses États d\’âme de la psychanalyse ; sous-titre : L\’impossible au-delà d\’une souveraine cruauté ; prologue à La démocratie en cruauté (éditions Galilée, 2003). Intervention, le 10 juillet 2000, à La Sorbonne, dans le cadre des \ »États Généraux de la psychanalyse\ » organisés par le psychanalyste \ »derridien\ » René Major, occasionnellement interlocuteur des travaux de Lacan, à sa manière, \ »majorienne\ » et \ »derridienne\ » donc. René Major, Président également de la Société d\’Histoire de la Psychanalyse fondée antérieurement par Michel Collée, Morel, Quetel et Postel…, René Major auquel est venu s\’adjoindre, à l\’occasion, Elisabeth Roudinesco dans cette \ »reprise\ » en force de cette Société. Derrida ainsi rend hommage à ces deux penseurs de la psychanalyse…, souvent lorsqu\’il s\’agit de cette discipline. Ainsi ses entretiens De quoi demain… Dialogue (Fayard, Galilée, 2001).

Mais antérieurement ses curieux dialogues plus directement avec Freud et avec Lacan. La Carte postale bien sûr, mais aussi Pour l\’amour de Lacan, dans Résistances… de la psychanalyse (Galilée), ou plus tard Fichus (2002) par exemple. Ou bien encore dans Voyous (2003), et Depuis Lacan, colloque de Cerisy, Aubier, 2000).

Il y eu les numéros du Magazine littéraire qui lui furent consacrés, dont le dernier, N° 430 Avril 2004, complet.

Il y eu récemment cette interview plutôt touchante dans Le Monde, dans lequel il se savait condamné, il en parlait.

Mais il y eu aussi ce penseur de la déconstruction, inlassable rhéteur, théoricien, attaché à la modernité, avec son immense savoir sur \ »l\’Ancien\ ». Ainsi Folie de la raison économique : un don sans présent dans Donner le temps 1. La fausse monnaie, où il reprend excellemment Marcel Mauss, où il le critique. Ce que lui contestera Maurice Godelier dans son livre L\’énigme du don.

\ »Comment, sans folie, désirer l\’oubli de ce qui aura été, comme le don, un don sans ambivalence, un don qui ne serait pas pharmakon ou cadeau empoisonné (Gift/gift), mais un bien qui ne serait pas un objet (un bien donné comme une chose) mais le bien du don, du donner ou de la donation même ? – (Galilée, 1991).

Parce qu\’il y eu Derrida et le pharmakon.

Curieux intérêt. Derrida revenant un jour des pays de l\’Est, avec une délégation très officielle, présidentielle et ministérielle, Derrida arrêté à la frontière car dans sa valise était trouvé de \ »la drogue\ ». Scandale. Erreur : ça n\’était pas sa valise, mais celle d\’un autre participant au voyage, me confiait un ami qui l\’avait approché pour un article.

Derrida conversant pour la revue Autrement, numéro sur les Drogues.

Derrida participant à cette cérémonie en 2001, où nous étions. Cérémonie, touchante également, du 30e anniversaire de l\’Hôpital Marmottan, où apparaissait, malade mais courageux, touché, Claude Olievenstein. Derrida commettant un texte superbe, pragmatique mais apparemment hélas trop \ »théorique\ » pour beaucoup d\’\ »intervenants en toxicomanies\ », trop addictés à leur pharmakon et qui s\’ennuyaient, soupiraient, n\’entendant pas la critique derridienne sur le Public de la Santé, la critique courageuse, fort juste, de cette autre addiction, administrativo-politico-économique de la Santé Publique, marée montante débordant son utilité certaine. Toxicomanie et devenir de l\’humanité sous la direction de Claude Olievenstein, coordonné par Michel Hautefeuille ; préface de Bernard Kouchner (éditions Odile Jacob, 2001).

Alors, évidemment, La pharmacie de Platon (Revue Tel Quel).

Superbe. Déjà la \ »déconstruction\ ». Le pharmakon intraduisible, remède et/ou poison. Tout l\’au-delà qu\’emporte ce texte, ambivalence, importance et à la fois relativisme de l\’objet tant est ici patent ce qu\’il va en tant qu\’objet guider mais aussi ce qu\’il est instrument éventuellement livré à l\’éthique de la relation d\’objet, à l\’éthique de son usage…. Thamous et Theuth, mythe, histoire exemplaire reprise du Phèdre de Platon. Pharmakon délivré de la notion contemporaine et étriquée de drogue matérialisée par les psychotropes, plantes naturelles et produits d\’industrie. Pharmakon-écriture présenté par Teuth le Savant au Souverain Thamous : remède et/ou poison pour la mémoire ? Au-delà bien évidemment, d\’où l\’intérêt déjà structural pour nous de ces textes : le progrès : progrès ?

Et, la drogue à la lettre… \ »Écriture\ » dans le corps.

Derrida pharmakon bien sûr, comme nous l\’évoquons dans cet hommage ; ni tout-bien ni tout-mal !

Nous n\’avons pas fini d\’user de Derrida, de ces études, de ces textes, sans fidélité \ »majorienne\ », sans le mêler aux travaux de Lacan, sans rejeter bien sûr ses dialogues, au contraire, en prenant ce que chacun y trouvera, ou pas, de son apport. En tout cas, Derrida, merci de ces apports raisonnés et engagés, dont nous userons probablement pour ce qui nous concerne, sans abuser, ce qui à d\’autres ne sera pas inter-dit ! à chaque un sa \ »différance\ ».