Je vais essayer d’aborder la difficile question de l’origine
de la représentation, de la création de la représentation
ainsi que son statut métapsychologique telle qu’elle m’est apparue au
cours d’une cure analytique avec un enfant autiste primaire.
Il peut paraître étonnant de parler de l’origine
de la » fonction de représentation » ou de la création
de la représentation.
Seule peut-être la clinique de l’autisme primaire
nous permet de la voir en acte. D’ordinaire ce moment d’origine est à
concevoir comme mythique ou au mieux comme une reconstruction.
Étonnant et aussi vertigineux puisque cette clinique
nous plonge dans les affres d’une confrontation immédiate, c’est-à-dire
sans la médiation de la représentation, avec ce que Freud a pu
appeler » Das Ding « .
» Il nous faut concevoir le sujet à l’origine
du signifiant. » (Lacan, Séminaire l’Identification). Il
y a bien contemporanéité du point originel de la représentation
et du moment originel de la subjectivité.
A la racine de l’acte de parole nous dit Lacan dans l’Identification
il y a un moment où elle s’insère dans une structure de langage.
Et cette structure de langage s’incarne dans une contemporanéité
de l’écriture et du langage. Nous trouvons dès cette leçon
du 17 janvier 1962 cette idée que la parole est lecture d’une écriture
préexistente ( » l’écriture est connotation signifiante,
la parole ne la crée pas tant qu’elle ne la lit « ).
Ce que Lacan vise dans ce point d’insertion dans une structure
de langage, ce n’est rien de moins que la structure de l’inconscient qui positionne
le sujet. Mais comment ?
Qu’est-ce qui peut bien faire le support de la représentation
?
Cette question s’est imposée à moi par la
cure d’un enfant autiste que je nommerai » M. » : non seulement à
cause de son acharnement à détruire tout ce qui pouvait tenir
lieu de surface d’inscription mais aussi par son intérêt pour la
» mélodie « , la musicalité de la langue au détriment
du sens de celle-ci.
Il m’a fallu donc travailler à l’existence d’un support.
Il faut dans ces cures que l’analyste soit support de l’activité
de l’enfant.
Et que » support » soit aussi » un terme
de blason désignant des figures d’anges, d’hommes ou d’animaux qu’on
représente aux deux côtés de l’écu d’armes comme
le supportant » (cf Le Robert), voilà qui indique son lien avec
quelque chose de l’ordre d’une nomination du sujet.
Cette idée du support renvoie à la nécessité
qu’une représentation s’inscrive d’une façon telle qu’il y ait
articulation entre cette inscription et le support d’inscription, articulation
» figure-fond » c’est-à-dire articulation de l’un à
l’Autre dont les rapports devraient s’écrire : » pas l’un sans l’Autre
« .
Il y a, en effet, nécessité que ce support
s’efface, passe au second plan au profit de l’inscription : c’est dans cette
syncope de ce qui fait support que la possibilité subjectivante réside.
J’ai proposé en décembre 94 que l’autisme
c’est peut-être le refus du maternel comme support. Refus que quelque
chose du support du signifiant s’efface au profit de la représentation.
Très classiquement, très » naïvement
» la représentation nécessite trois termes :
– le référent, soit l’objet représenté
– le signe, soit la matérialité de ce qui
représente
– un » sujet » pour qui cet objet est représenté
par ce signe.
Cette conception naïve et fausse, Freud puis Lacan
vont s’attacher à la subvertir.
En effet, cette trilogie » référent,
signe, sujet » Freud va la subvertir du côté du référent
et du signe en laissant de côté la critique de cette notion du
» Ich « .
Tout au long de la découverte freudienne, c’est-à-dire
depuis 1891 dans les Études sur l’aphasie jusqu’en 1939 et notamment
dans ce texte essentiel pour mon propos qu’est » Die Verneinung »
(1925), la représentation ne va jamais cesser d’être rattachée
à la perception, au sensoriel.
» Il faut se rappeler, dit Freud en 1925, que toute
les représentations sont issues des perceptions, qu’elles en sont les
répétitions. »
Mais justement, cette notion de répétition
va être déterminante pour la nature même de la représentation
: d’être répétée, elle va en effet changer de nature.
S. Freud ne s’est jamais départi de ce lien entre
représentation et perception. Lien qui s’appelle : répétition.
» Wahrnemnungzeichen, Qualitätzeichen, Realitätzeichen…
Zeichen « sont des signes de la rencontre de l’objet.
Or, dès les études sur l’aphasie, Freud a
centré sa conception de la représentation de l’objet sur la notion
d’objet perdu. C’est là, la première rupture, la première
subversion freudienne qu’introduit cette notion de répétition.
Le support des représentations pour Freud sont donc
les premières traces mnésiques de la rencontre de l’objet, dont
les attributs vont constituer les représentations primitives et dont
une part restera » en tant que Chose » hors du représentable.
Or, et ceci dès l' » Esquisse » (ou les
textes contemporains comme la lettre 52) quand Freud va envisager l’inscription
inconsciente, il va parler non plus de » Zeichen » mais de »
Vorstellung « . Ainsi, dans la deuxième partie de l’Esquisse, ce
terme surgit quand Freud envisage la substitution d’une représentation
à une autre (dans la description du mécanisme du refoulement hystérique).
Pour qu’il y ait inscription, Freud semble insister sur
la nécessité d’une substitution, voire d’une répétition
de représentation.
Dès lors, celle-ci n’est plus signe, mais Vorstellung
en tant qu’elle renvoie non plus à l’objet mais à une autre Vorstellung.
Et Freud d’insister dès lors pour que l’analyste
s’attache à déchiffrer la représentation non plus seulement
en tant que trace d’une rencontre mais en tant qu’elle vient chiffrer un désir
inconscient.
La deuxième remarque que je voudrais faire sur la
conception freudienne de la représentation c’est que si intuitivement
on envisagerait d’abord l’existence d’une représentation pour dans un
second temps lui conférer des attributs, Freud inverse cette logique
pour envisager, primordialement un jugement d’attribution, ensuite un jugement
d’existence.
Je crois qu’on peut mesurer là tout ce que Freud
doit à Brentano.
Celui-ci en effet, dans » Psychologie d’un point de
vue empirique « , fait une distinction très nette entre représentation
et jugement, en tant que ce dernier est une affirmation d’une vérité
ou le rejet d’une erreur.
Pour Brentano, la perception d’actes psychiques ou même
le souvenir sont des opérations de jugement.
De plus, Brentano soutient que dans l’affirmation »
A est… « , il ne s’agit nullement d’un jugement d’attribution qui lierait
A et l’existence en tant que prédicat. Dire » A est… »
c’est seulement admettre A en tant que représentation sur la base d’un
jugement. Ce qui n’est pas affirmer l’existence de A.
Freud a repris cette notion en affirmant l’acceptation de
représentations primordiales par un jugement d’attribution qui ne confère
en soi aucune existence à ces représentations : ce sera là
la tâche du jugement d’existence (ou épreuve de la réalité)
dont le but n’est pas de trouver dans la perception réelle un objet correspondant
au représenté, mais bien de le » retrouver « . C’est
donc bien à nouveau la répétition qui va conférer
ou non l’existence à la représentation.
Lacan, dans son commentaire de l’intervention de J. Hippolyte
sur la dénégation apporte un éclairage décisif à
ce texte quand il soutient que » cette création de symbole…
on ne peut même pas la rapporter à la constitution de l’objet,
puisqu’elle concerne une relation du sujet à l’être et non
pas du sujet au monde « .
Il va donc souligner le renversement du lien entre la représentation
et la réalité : il s’agit moins d’une adéquation entre
une représentation et l’objet mais bien, par ce jugement d’existence,
d’un processus de jugement qui aurait à voir avec la Vérité.
Et à cet égard, on peut se demander si la différence entre
jugement d’attribution et d’existence n’origine pas la différence entre
le Savoir et la Vérité chez Lacan.
La Vérité ne surgirait que de ce lien d’une
représentation à une autre centré sur la trace inaugurale
de la rencontre de l’objet.
Le jugement d’attribution c’est donc l’admission primordiale
non pas » dans » le moi mais comme constitutive du » Ich « ,
de représentations primitives sans pour cela qu’elles acquièrent
du même coup valeur d’existence : ni au regard de la réalité
puisqu’il n’est pas un jugement porté sur la réalité, ni
pour le sujet en tant qu’elles auraient effet de Vérité.
Concevoir l’admission de représentations sans pour
cela qu’elles permettent au sujet de fonder son existence permet de concevoir
le statut de ces représentations qui sont créées, grâce
au travail de la cure et qui ont donc dépassé la défense
primaire comme d’avant le jugement d’existence, comme n’entraînant
donc pas d’effet de Vérité, pas plus non plus qu’une véritable
subjectivation.
Si comme nous l’avons vu, Freud va introduire une rupture
par rapport à la conception » naïve » de la représentation
tant du côté du référent que de celui du signe, Lacan
va introduire une double subversion par rapport à la conception freudienne
: l’une du côté de la représentation en promouvant sa théorie
du signifiant, ce qui en entraînera une autre : la séparation du
» Je » et du » moi « .
Lacan va aussi s’intéresser à la trace, aux
» Wahrnemnungzeichen « . En 1964 il va leur » donner
leur vrai nom de signifiants » (Séminaire XI). Cependant, il aura
fallu tout le travail de 1961/62 sur le trait unaire pour en arriver à
une conception du signifiant qui se différencie nettement du signe.
Rappelons que Lacan présente sa » constitution
du signifiant » en trois temps :
– il y a d’abord la trace
– puis celle-ci est lue et dès lors on ne
sait plus (on est là dans un indécidable) si elle vaut comme trace
ou comme signifiant
– enfin le renversement : la trace phonétisée
pouvant dès lors écrire le son.
Il ne saurait y avoir d’articulation d’un signifiant sans
ces trois temps.
Les Wahrnemnungzeichen sont donc devenus lettres
en tant que par une opération de lecture du signe ils sont venus se détacher
du signe et se supporter du » pas-de-trace « , du rien.
Le support du signifiant n’est donc plus la trace d’une
perception mais la lettre de son effacement.
Et ceci a pour conséquence un positionnement différent
de l’altérité et du même coup de la subjectivité.
En effet, quelle subjectivité est attachée
à l’admission des Wahrnemnungzeichen par le Ich ?
On sait que Freud ne dissocie pas le » moi « ,
du » Je « . Bien plus, dans » la dénégation « ,
il précise qu’il n’y a aucune différenciation entre le »
subjectif » et » l’objectif » attachée au jugement d’attribution.
Cette différence n’apparaît que grâce au jugement d’existence.
Lacan, lui, va dès son texte sur le » Stade
du miroir » détacher le » je » du » moi « . Si
c’est dans ce texte, comme je le pense, que cette différence va commencer
à s’élaborer, je vous propose de concevoir que c’est par le stade
du miroir que le » je » se dissocie du » moi « .
En effet, c’est par cette expérience du miroir que
la subjectivité va se fonder sur la » rupture entre l’Innenwelt
et l’Umwelt « .
Si c’est bien entre la trace de pas et le pas comme venant
écrire le son » pas » et pouvant servir comme instrument de
la négation que peut venir se constituer le sujet, ce renversement constitue
le passage d’un sujet immanent à la lecture du signe, d’un » pré-sujet
« , sujet comme potentialité dans l’Autre (comme en atteste
les dessins renversés des tout-jeunes enfants) à un sujet en tant
qu’effet de la mise en chaîne signifiante, un sujet qui ex-siste
à l’Autre.
La subjectivité attachée à la constitution
des signifiants primordiaux n’est peut-être nulle part mieux illustrée
que par les » créateurs » : les artistes essayant de cerner
leur rapport à la création.
» L’écrivain, c’est l’état indifférencié
de la personne, la nudité indifférente de l’âme. De l’âme
comme regard. De l’âme comme absence. » (Ch. Bobin, La part manquante).
On peut noter un même renversement au niveau de la
conception de l’altérité.
Chez Freud l’altérité reste référée
à la réalité extérieure, même si dès
l’Esquisse nous la retrouvons au coeur du sujet » en tant que Chose
« .
Pour Lacan, et à partir de ce renversement, l’altérité
n’est plus du tout à référer à cette partition extérieur/intérieur
: elle est le signifiant lui-même. Elle est supportée par la différence
absolue du signifiant. » L’Autre n’est Autre en rien. » Le signifiant
est là en tant qu’Autre dont le support est la trace en tant que lettre.
Retournons à la clinique de l’émergence de
deux signifiants pour » Momo « .
Au cours de sa cure, Momo qui à ce moment émerge
de son autisme pour s’intéresser aux traces de son gribouillage (cf mon
exposé » entre chair et écriture » déc. 94) va
créer un signifiant majeur pour lui : la grue.
Momo, depuis que je le connais est un » enfant-machine
« . Tout moteur exerce sur lui une fascination mortifère.
Or, la grue, je la trouve » digne » de le représenter
aux yeux de son éducatrice. La grue, image plutôt sténique
vous en conviendrez, arrive à un moment où Momo n’est plus ce
petit être chétif et sans colonne vertébrale.
La grue, c’est tout ce qui porte, sauve mais aussi à
l’occasion vous balance et vous laisse tomber. C’est sans doute parce qu’elle
renvoie pour moi à une imaginarisation de l’Autre que nous lui réservons
le meilleur accueil.
La grue sera, comme il se doit pour Momo, dessinée,
découpée, détruite puis recollée…
Et elle fonctionne comme signifiant » à tout
faire » : devant tout danger, telle l’imminence d’un petit autre que Momo
craint par exemple, Momo se raccroche à » la grue » comme barrière
contre l' » Hilflossigkeit « .
Le » grue » devient ce que D.W. Winnicott appellerait
un objet transitionnel, d’abord dans les mots, (mots transitionnels) puis concrètement:
il traîne derrière lui une splendide grue rouge.
Envisageons maintenant comment apparaît le signifiant
» O » conjointement avec cette question : comment un signe peut-il
devenir signifiant, c’est-à-dire venir représenter le sujet et
non plus l’objet-référent » de la réalité « .
Momo, qui est un enfant qui a été hospitalisé
depuis sa naissance et qui a subi nombre d’interventions médicales, rencontre
de gros problèmes d’insomnie. Il regarde sans cesse une lampe – de forte
puissance – qui éclaire la rue et se trouve fort proche de sa chambre.
Il reste » collé » à cette lampe qui le fascine.
En séance, cette fascination s’observe aussi : toutes
les ampoules du bureau doivent être allumées et il se » noie
» de les regarder, se brûle les yeux et les mains sur elles jusqu’à
la mutilation.
A ce moment, Momo s’intéresse beaucoup aux images
d’hôpital qu’il a trouvées dans un illustré. La violence
de ce que cela lui évoque est énorme. Il » met en scène
» sur le corps propre une série d' » opérations-intrusions
» notamment autour de la bouche. Sa jouissance est telle qu’il faut sans
cesse l’arrêter… ce qui ne se peut sans dessiner, représenter
ce qu’il met en scène. Nous lui proposons aussi de jouer ces scènes
sur une petite poupée.
Puis au cours d’un trajet pour venir en séance, il
est intéressé vivement par la lune. Il dit » lu « . La
» lu » désignera dès lors aussi les lampes et notamment
celle qui peuple ses nuits. La lune, seulement quand elle est » ronde »
l’intéresse. Elle sera dessinée, découpée, recollée
sur un support. Détruite, redessinée…. Modelée aussi.
Et il va interposer ce modelage ou ce dessin entre lui et les ampoules
allumées.
Ne s’agit-il pas, dans cette fascination d’une proximité
trop grande avec le champ de la » Chose » ?
Le cercle de papier, le modelage qui correspond à
» la lune » et qui s’extrait (pour se conserver finalement) de cette
capture ne vaut-il pas comme trace de la Chose ?
Il faut pour s’en convaincre se rappeler que cet appareillage
médical a tenu lieu pour lui d’Autre. Autre muet. Autre-machine
qui le terrorise.
Ce » O » est une création, au sens fort.
Parlant de la création artistique aux journées
sur la jalousie, C. Desprat-Péquignot l’a rapprochée de cette
rencontre originaire où de l’Autre s’impose au sujet en même temps
que se constituent les traces de cette rencontre.
Mon petit Momo n’en est pas artiste pour autant mais je
trouve en effet qu’il y a là création d’une représentation
avec ce que cela représente de rencontre avec le » danger de l’imminence
de la Chose » qui risque de submerger le sujet.
Nous pouvons saisir là en acte toute la différence
entre un corps érotisé par le discours maternel, corps qui est
ainsi soumis au Principe de Plaisir qui fait barrage à la jouissance
et un corps, tel celui de Momo, qui est toujours susceptible d’être un
lieu d’effraction, » érotisé » par les traces du champ
de la Chose.
Au fil des séances, ce » O » va se lire
O. » O » qui va servir à nommer et à écrire »
MOMO » (Pour la constitution du » M » je renvoie à mon
exposé Entre chair et écriture).
Le sujet, nous dit Lacan dans d’un Autre à l’autre,
ce sont les » effaçons » par quoi comme empreinte la trace
se trouve effacée. Et Lacan de pointer les quatre » effaçons
du sujet : les 4 objets a.
Pour que cette première trace passe au statut de
lettre et vienne représenter MOMO, il va y loger, à la place du
» O -lampe-lune » le regard.
Regard de l’Autre comme en atteste une publicité
qu’il élit dans une revue et où le regard surplombe une série
d’ampoules électriques.
Il me semble qu’on ne peut pas mieux évoquer ce que
Lacan théorise quant à l' » enforme de A » : » le
sujet, dit-il, c’est celui qui efface la trace en la transformant en regard.
»
Mais dès lors, quel est le statut métapsychologique
de ces premières représentations ?
Ce qui peut faire support pour que la représentation
advienne c’est la Mère en place de support de l’Autre et du sujet à
venir (c’est ainsi que se comprend le » holding maternel » de D.W.
Winnicott).
C’est le moment d’un rapport immédiat à l’Autre
comme désirable. Et ce qui est subjectivant c’est que l’anticipation
maternelle soit une opération de lecture de l’activité
de l’enfant.
C’est dire que cela suppose qu’il y ait quelque chose à
déchiffrer qui soit déjà là. Or, il n’y a
quelque chose à déchiffrer que si il y a quelque mystère,
que si l’enfant fait énigme, question. Il est donc fondamental que quelque
chose de l’enfant soit perdu pour la mère, ou encore qu’il soit en place
d’objet perdu pour elle.
Lisant, la mère se barre : elle n’est
plus toute. Elle se soumet à la lettre, au réel de la lettre.
C’est par là que ce rapport d’immédiateté avec l’enfant
est perdu primordialement pour elle.
J’insiste donc sur la nécessité d’un double
travail de deuil pour que le support du signifiant s’efface, le deuil du côté
de l’enfant devant être préparé par celui de la mère.
Ainsi en est-il du sevrage : le sein est » de l’enfant » dans la mesure
où il est d’abord perdu par la mère.
Ce travail psychique qu’elle opère est la condition
pour que la perte de l’objet pour l’enfant soit subjectivante. Ainsi, et seulement
ainsi, la lettre est la trace d’une jouissance perdue.
Dans la dialectique du sujet à l’Autre, il faut donc
que le signifiant primordial » déçoive » : c’est-à-dire
qu’il ne soit pas signe de la présence de la » Chose » mais
trace de son manque.
Mais ce temps premier de l’illusion du signifiant primordial
comme tenant lieu de la rencontre de la Chose est fondateur : ce n’est que dans
un second temps que la batterie signifiante peut être construite.
En effet si le signifiant » a déçu « ,
alors peut s’établir l’équivalence entre tous les signifiants.
Pour Momo, c’est ce temps premier qui fait défaut.
La lettre » O » par exemple, est trace non d’une jouissance perdue
par un travail de deuil, elle est trace d’une absence certes, mais une absence
qui est une perte » de toute éternité « . Ce » O
» n’est pas mis en chaîne par un jugement d’existence.
Ainsi, on peut se demander si on aurait pu éviter
son autisme et le gavage de cet enfant pendant 4 ans, en l’accompagnant lui
et sa mère dans la séparation douloureuse qui lui a été
imposée.
C’est ce qui confère un caractère mélancolique
aux représentations que Momo a cessé de rejeter.
Cet enfant a été confronté trop tôt
à la disparition de l’Autre comme support. Trop tôt signifiant
que cette perte n’a pas été le temps d’un travail de deuil.
Il a ainsi été confronté à la
disparition de l’Autre Réel sans qu’il ait eu le temps nécessaire
au travail d’élaboration psychique requis pour la constitution du signifiant
primordial de l’objet.
Le collapsus mélancolique c’est pour moi » l’attribution
» de représentations qui ne peuvent servir à fonder l’existence
d’un sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant.
Ces représentations le prémunissent d’une
rencontre trop imminente avec la Chose, sans pour autant lui donner rapport
à l’objet en tant que perdu.
Signifiants » holophrasés « , ces représentations
scellent sans doute sa débilité.