Le corps est reconnu dans la psychanalyse comme relevant des trois registres du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique.
Puisque l’Imaginaire du corps de l’identification dans le miroir se superpose au Réel biologique du corps soumis à l’ordre Symbolique pour l’être humain du fait d’être dans le langage.
Alors la question se pose de savoir de quoi le corps se trouve affecté, de quoi souffre le corps dans le phénomène psychosomatique, et bien sûr en quel état se trouve le sujet…
Le phénomène psychsomatique n’est pas un signifiant
Lacan particulièrement dans la Conférence de Genève, nous a laissé quelques repères sur la nature de ces phénomènes psychosomatiques qui ne sont pas à considérer comme des symptômes mais comme des signes, dit il, et qui ne sont donc pas à interpréter comme les somatisations hystériques qui, elles, sont des signifiants inclus dans une chaîne signifiante, et ont fonction de métaphore. Lacan pourtant reconnaît au phénomène psychosomatique une valeur d’écrit, mais qui ne passerait pas par le Symbolique, qui aurait beaucoup à voir avec l’Imaginaire et viendrait s’inscrire dans le Réel du corps.
Les mots qu’il emploie : cartouche, blason viennent caractériser le phénomène psychosomatique comme une marque, une inscription sur le corps qui ne serait pas de l’ordre du signifiant, et ne serait pas à lire comme tel.
Mais il évoque aussi le réel du nombre : comment l’entendre, est ce éventuellement dans cette marque comme code ou est ce aussi dans les aspect quantitatifs des fonctions biologiques… ?
Si de nombreux organes peuvent être concernés par la psychosomatique il est difficile de définir précisément ce qui détermine l’atteinte de tel ou tel organe.
Ces phénomènes peuvent se rapporter à l’objet scopique, voir/être vu y compris tenant bien debout ou bien vivant, bien mobile, à l’objet oral nourriture ou la voix ou le souffle que Lacan rattache à l’objet anal.
L’eczéma ou le psoriasis sont visibles tels une marque ou une inscription. L’hypertension artérielle et les troubles cardio-vasculaires, les phénomènes digestifs qui ne sont pas toujours de l’ordre du visible, seraient ils à mettre au registre du réel du nombre qu’évoque Lacan dans ce qu’il en est des modes de régulation quantitatives ?
Les circonstances où ces phénomènes se déclenchent sont des situations que nous qualifions comme signifiantes, mais qui ne sont pas reconnues comme telles par le patient qui, dans l’après coup, apparaît le plus souvent dans une position de déni, il ne sait pas… il ne sait pas où se situer.
Ces situations signifiantes peuvent en effet apparaître comme ordinaires, non exceptionnelles, parfois banales ou même heureuses de l’extérieur, ce qui ferait dire si souvent par rapport aux événements « il ne s’est rien passé ».
Mais c’est bien l’incidence subjective d’un événement – passé ou à venir – qui est en cause dans une séparation ou dans un engagement, un deuil ou une réussite sociale – être reconnu dans une place.
La question du sujet
Par rapport à ces circonstances évoquées, se pose bien la question de ce que cela veut dire, et de ce qui est en cause pour ce sujet là, qu’est ce qui l’empêche de répondre dans le symbolique à cet événement ou cette circonstance et donc va décider du choix ou de la nécessité de ne pas s’assujettir au signifiant.
Ces circonstances particulières peuvent évoquer un impératif, une contrainte imprévue, quelque chose qui paraît inévitable en effet sur le plan rationnel, mais aussi ce qui pourrait malgré une acceptation rationnelle ou une volonté prononcée, aller contre un désir profond ou une vision de soi et du monde,.ne pas pouvoir…
Et la psychosomatique serait un dispositif particulier devant quelque chose qui serait insurmontable.
La question de l’angoisse est bien sûr posée et on a pu évoquer aussi la proximité de la psychosomatique avec la phobie.
Devant cet impératif ou cette contrainte ou cette situation angoissante le sujet se dérobe au symbolique et le contourne, dans un certain clivage pour le névrosé, dans la mesure où ce dispositif s’avère souvent partiel et réversible. Puisque si cela évoque la psychose, ce n’est pas la folie.
Et ce serait une autre façon d’entendre ces mots « il ne s’est rien passé » du côté du sujet et non plus du côté de l’événement.
Certaines écoles ont voulu retrouver dans ces phénomènes somatiques non symbolisés qui ont pu souvent être comparés à des phénomènes psychotiques, le propre d’un certain type de « personnalités ».
Cette question peut se poser surtout à propos de l’enfant, et je la reprendrai par ailleurs.
Et bien sûr on peut trouver fréquemment un type de rapport au langage particulier sur quoi je reviendrai aussi.
Mais la possibilité d’apparition de ces phénomènes est reconnue dans toutes les structures, même les névroses dont Lacan dit pourtant que c’est solide.
On a pu comparer ces phénomènes psychosomatiques à un acting out, du fait de l’irruption du phénomène que le sujet n’est pas à même d’endosser.
La question serait donc, là où Schreber entre dans la psychose dans une situation où il ne peut tenir sa place, d’autres structures dont la névrose déclenchent plus ou moins brutalement un phénomène psychosomatique dans une situation impossible à assumer.
Et dans un travail de thérapie ou d’analyse, si le patient ne peut rien dire au départ du phénomène psychosomatique, on peut essayer de relier cela qui est inscrit sur le corps à quelque chose ou à un temps qui permet de se repérer dans cette histoire indicible.
Sujet du désir – sujet de la jouissance
Freud affirme : « La douleur n’est pas un dommage, c’est une jouissance » Cette jouissance du corps dans la psychosomatique est la jouissance de l’Autre, différenciée de la jouissance phallique qui pour le parlêtre ordonne le fonctionnement dit normal de l’organisme.
Dans le phénomène psychosomatique on voit l’érotisation du corps ou d’un organe dans une jouissance qui n’est plus cadrée et limitée par le signifiant phallique.
Cette autre jouissance, Lacan nous dit bien que « c’est une jouissance du corps, qui est jouissance de l’Autre »
La psychosomatique, serait ce dispositif où l’organe affecté est l’organe de l’Autre, comme objet a non détaché dont on jouit ou qui jouit.
Lacan qualifie de mythique le sujet de la jouissance. « La jouissance ne connaîtra l’Autre que par ce reste a ».
Alors que le fantasme, c’est le sujet barré dans un certain rapport d’opposition à a, sujet désirant et non plus sujet de la jouissance… l’objet a est représenté par la fonction du manque, le défaut du phallus constituant la disjonction du désir à la jouissance.
Et le sujet doit donc accepter la perte de l’objet dans le fait d’accéder au symbolique.
La jouissance n’est plus limitée par l’ordre phallique dans la psychosomatique, cette jouissance Autre elle, n’a pas de limites, pas d’autre limite que la mort parfois.
Puisque ce ne sont pas de faux malades, il y a parfois mise en jeu de la survie même de ce corps affecté.
Cette problématique psychosomatique peut évoluer soit vers une résolution rapide et définitive du phénomène, soit vers la répétition du même phénomène dans des situations équivalentes, mais aussi vers des maladies qui persistent sans que l’on puisse parler de rémission vraie ou de guérison, ou même de nouvelles maladies qui apparaîtront, relevant aussi de la psychosomatique, ou d’une autre localisation d’une maladie après guérison médicale ou chirurgicale ou… « spontanée » : par exemple localisations multiples d’un même processus.
Le travail de la psychothérapie, qui souvent commence par une recherche de l’histoire, va-t-il pouvoir en resituant les choses dans un temps et dans un cadre permettre au patient de se situer lui même dans son histoire et arriver à une parole.
Et de se retrouver éventuellement comme sujet, tel ce patient adressé par son gastro entérologue, et qui en venait à dire, après un temps de travail qui avait permis une sédation des poussées « Je veux continuer une analyse pour moi maintenant ».
Et alors qu’au début de son travail, se rappelant les repères familiaux… en l’absence d’un père, parti au loin régulièrement pendant six mois ou plus pour son travail, « ma mère nous sculptait des modèles », peut être ce patient a pu s’inscrire dans des repères symboliques qui lui permettaient de dire « les lois c’est mieux, on peut en chercher la limite ».