Wittgenstein, Lacan et la question de la vérité
24 janvier 2008

-

RICARD Hubert



Le Séminaire de l’Envers de la psychanalyse est le seul où Lacan parle un peu longuement de Wittgenstein (Leçon du 21 Janvier ) et Nicolas Dissez a commenté avec une grande pertinence ce texte dans le Livre-compagnon. Lacan s’y réfère exclusivement au Tractatus logico-philosophicus, paru en 1921-22. La seule traduction disponible à l’époque du Séminaire était celle, peu compétente, de Pierre Klossowski – mais Lacan lisait sans aucun doute l’original allemand. On sait que Wittgenstein n’en resta pas au Tractatus et élabora ensuite progressivement ce qu’on appelle couramment sa ‘seconde philosophie’ dont le point d’aboutissement est constitué par les Recherches philosophiques dont W. projetait la publication au moment de sa mort et qui parut deux ans après en 1953. Ce texte vient de bénéficier d’une traduction récente – effectuée sous la direction d’Elisabeth Rigal – et longtemps attendue, vu le caractère incomplet et incertain de la première traduction française, donnée également par Klossowski. La question que je me suis posée, étant donné la différence radicale de contenu qui existe entre les deux textes de Wittgenstein, concernait une possibilité de lecture des Recherches philosophiques en tenant compte de ce que nous avons appris de la lecture des grands textes philosophiques par Lacan et bien sûr de sa lecture du Tractatus.

Il était hors de question pour moi de me référer à la " seconde philosophie " prise dans son ensemble ; j’en resterai donc à quelques thèmes évoqués dans ce texte des Recherches, où Wittgenstein concentre certains points essentiels de sa pensée et qu’on peut juger à certains égards conclusif.

L’oeuvre de Wittgenstein a aujourd’hui la première place dans la sphère de la philosophie anglo-saxonne, même pour les penseurs qui articulent leur propos au champ de la logique à laquelle le second Wittgenstein n’accorde que peu d’importance. Pour prendre les choses très en gros, la seconde philosophie a joué un rôle décisif, vers les années 80, dans ce qu’on pourrait appeler une ‘dissolution’ relative de la philosophie analytique et un certain retour de la philosophie américaine au pragmatisme, comme le montrent les oeuvres du dernier Putnam ou de Rorty. Mais bien entendu ces textes de Wittgenstein méritent d’être considérés en eux-mêmes : ils constituent une des créations les plus originales et les plus puissantes de la philosophie du 20ème siècle. Il me paraît donc légitime de s’interroger, au delà du texte du Tractatus que commente ici Lacan, ainsi que, dois-je ajouter, des quelques propos que Wittgenstein a tenus sur Freud et sur la psychanalyse dans les Conversations sur Freud, sur ce que pourrait être une perspective critique que sa philosophie permettrait d’élaborer à l’égard de la théorie psychanalytique et notamment de la forme que lui a donnée Lacan. A charge de revanche bien entendu, car même si Lacan n’a guère parlé du second Wittgenstein, on peut sans doute prendre quelque distance à partir de Lacan avec un discours qui se donne explicitement comme philosophique, dont nous verrons qu’il relève assez classiquement d’un discours du Maître, tout en fonctionnant en même temps comme une formidable entreprise de démolition de la philosophie, notamment de ce qu’on pourrait appeler le ‘rationalisme épistémologique’ dont Lacan s’est voulu explicitement l’héritier. J’ajoute que je m’en tiendrai à quelques points très fragmentaires.

Le terme vérité qui figure dans mon titre surprendra un lecteur de Wittgenstein. Au premier plan du Tractatus, il tend à s’effacer par la suite ; il est bien présent dans les Recherches, mais de façon subsidiaire, réduit au prédicat de la proposition, et c’est le terme de certitude, qui fournira le titre d’un opuscule bien connu à propos duquel on a pu parler, sans doute abusivement, d’une troisième philosophie de Wittgenstein, qui vient au premier plan. La question de la vérité garde néanmoins sa pertinence. Je reprends brièvement, pour introduire mon propos, l’articulation produite par Lacan à l’occasion du Tractatus dans la cinquième leçon de l’Envers, dans la mesure où elle peut valoir pour l’ensemble de l’oeuvre.

Lacan nous assure que selon Wittgenstein, il n’y a plus rien à dire concernant la vérité comme telle, cette vérité liée au désir, que Freud a mis au centre de son propos. Pour dire les choses en gros, Wittgenstein réduit dans le Tractatus la vérité à la vérité des faits, laquelle concerne l’existence des états de choses, et d’autre part la proposition à une image de la réalité : cf 4.022 " (…) La proposition montre ce qu’il en est des états de choses quand elle est vraie (…) ". Non seulement il n’y a pas d’autre vérité que l’accord du sens de l’image (que constitue la proposition) avec la réalité – en simplifiant un peu les choses on peut dire qu’il n’y a de vérité que du fait -, mais le sens lui même est subordonné à l’expression des faits – cf. 3.142 " Seuls des faits peuvent exprimer un sens(…) ". C’est seulement si elle peut être vraie ou fausse que la proposition peut montrer un sens : c’est pourquoi la tautologie et la contradiction, tout en n’étant pas insensées (unsinnig), sont vides de sens (sinnlos), elles ne disent rien cf.4.461 : " Je ne sais rien par exemple du temps quand je sais : il pleut ou il ne pleut pas. " Une telle tautologie, qui n’apporte aucun contenu consistant, n’est pas une image de la réalité : tout autre énoncé que celui qui concerne les faits du monde n’a ni sens ni vérité.

Bêtise de Wittgenstein ! pour reprendre le terme de Lacan, qui ne va pourtant pas jusqu’à le lui appliquer directement – envers de ce qui chez Wittgenstein peut servir à la détection de la canaillerie. Mais plutôt parti pris de bêtise ou de vue faible, forme de perspicacité qui, au delà d’un positivisme courant, sont ceux de la grande tradition nominaliste, celle d’Ockham, de Hobbes , de Berkeley, de Condillac et de Hume. Leur hostilité aux grandes constructions rationalistes des métaphysiciens n’a aucun caractère irrationaliste : elle exprime au contraire une exigence formulée au coeur même de la raison de ne pas tomber dans des pensées chimériques ou dépourvues de sens.

Lacan évoque à ce propos le célèbre rasoir d’Ockham. Cette maxime de la philosophie de la connaissance, sous sa forme la plus commune qu’on ne trouve pas d’ailleurs chez Ockham, s’énonce : " Il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité. " C’est un principe d’économie, dirigé contre les entités inutiles, qui abondent notamment dans le discours des métaphysiciens et dont les effets sont particulièrement destructeurs pour le discours de la métaphysique. Or Lacan assure que le discours de Wittgenstein manifeste " une férocité psychotique auprès de laquelle le rasoir d’Occam bien connu, où s’ énonce que nous ne saurions admettre aucune notion logique que nécessaire, n’est rien ".

Restons en à ce que serait une intention nominaliste prêtée à Wittgenstein. Pour simplifier les choses, je distinguerai au moins deux significations du terme, souvent corrélées mais tout à fait distinctes. Tout d’abord la réduction du concept au nom, selon la formule célèbre de Condillac pour lequel " les idées abstraites ne sont que des dénominations " (Logique ch V). Cette thèse particulière qui justifie l’étymologie du terme, dans la forme extrême qu’elle prend chez Berkeley et Hume, va jusqu’à nier l’existence du concept ou de l’idée générale, mais elle ne donne pas le sens fondamental de la doctrine nominaliste et elle n’est d’ailleurs pas soutenue par Guillaume d’Ockham lui-même : celui-ci maintient très clairement l’indépendance de la pensée, même s’il traite le concept comme un signe et lui refuse tout caractère général. Au § 383 des Recherches philosophiques, Wittgenstein évoque d’ailleurs de façon critique les nominalistes à partir d’une perspective particulière, la réduction de tous les mots à des noms, ce qui méconnaît la diversité des usages particuliers de ces mots.

La seconde signification du terme, la plus importante à mon sens, est donnée par le rasoir lui-même.. De fait c’est le Tractatus qui donne la formule que reprend Lacan dans son Séminaire. En 5.47321 Wittgenstein critique l’idée que la " devise d’Ockham " serait arbitraire ou aurait une simple signification pratique : " elle déclare que des unités de signe non nécessaires ne signifient rien. " Non seulement on a affaire à une règle d’économie pour la pensée, mais à la dénonciation du caractère dépourvu de sens des grands concepts de la rationalité et de la philosophie. A cet égard le premier principe, qui juge le concept inutile et le réduit au nom, n’est qu’une application de ce second principe d’élimination des entités non nécessaires.

Il y a enfin un troisième principe qui joue aussi un rôle fondamental : " il n’y a que des individus " : il permet de nier l’existence des Universaux et des essences générales, ainsi que de refuser tout caractère de généralité au concept, dont l’objet est toujours singulier. On peut dire qu’il est repris entièrement à son compte et même radicalisé par le Wittgenstein des Recherches philosophiques. Celui-ci va jusqu’à proscrire de façon radicale les énoncés généraux que ses grands prédécesseurs de la tradition nominaliste n’avaient pas toujours su éviter, et en reste à la description des exemples ou des cas particuliers.

Tel qu’il se présente, ce discours extrêmement négateur concerne l’ensemble du discours de la rationalité. Les entités philosophiques que nous prétendons désigner par des mots sont elles des chimères dépourvues de sens ? La question doit être évoquée, car Lacan n’a cessé d’utiliser, comme concepts de sa propre théorisation, des termes empruntés à la philosophie classique, voire à la métaphysique : termes généraux tels vérité, certitude, sens, sujet, voire de véritables entités métaphysiques telles que l’Un, l’Etre, l’Autre, le Réel. Aux yeux d’un wittgensteinien, les concepts de Lacan doivent apparaître comme renvoyant à des entités non nécessaires, parfaitement arbitraires, à des concepts dont l’usage peut paraître difficile à justifier, au moins dans leur première signification qui est métaphysique. On peut sans doute arguer d’emblée que le travail théorique de Lacan leur a donné une portée absolument spécifique et que leur " sens " n’est pas repérable de façon indépendante des articulations ou des mathèmes. Il reste que la théorisation de Lacan se situe dans une tradition philosophique rationaliste et réaliste qui est précisément la cible de la polémique nominaliste. Vu la grande influence de Wittgenstein aujourd’hui, il y a quelque chance que la référence à son oeuvre prenne valeur d’obstacle à la réception du discours de Lacan dans les milieux philosophiques et pas seulement philosophiques : en effet bien que le second Wittgenstein ait refusé de donner à la science et à la logique un rôle central, installant son propos sur le terrain de la langue commune, on voit bien comment à côté du discours de la science et des formes violentes qu’il peut prendre dans le domaine des ‘sciences humaines’, couplées à des critiques hâtives de la ‘scientificité’ de Freud et de Lacan, un discours, cette fois franchement philosophique et qui s’avoue comme tel, mais destructeur des concepts fondamentaux de la philosophie, puisse avoir un véritable effet de désertification et amener à soupçonner d’arbitraire toute construction théorique qui ne passerait pas par ses exigences.

Ajoutons que Wittgenstein n’est pas isolé dans la constellation du nominalisme contemporain – on peut penser à Quine et à Goodman ; mais leur oeuvre est étroitement articulée à la logique et on peut les situer sans difficulté à l’intérieur du discours de la science, comme le faisait Lacan à propos de l’oeuvre de Bertrand Russell, l’initiateur de la philosophie analytique. C’est en particulier le cas de Quine qui refuse la séparation de la science et de la philosophie et tempère son nominalisme, si radical soit-il, par son physicalisme. En revanche le statut du second Wittgenstein répugne à cet englobement, installé qu’il est sur le terrain de la langue commune, ne restreignant plus sens et vérité, comme le faisait le Tractatus, au cadre dessiné par la forme logique, situant l’activité philosophique dans l’analyse des jeux de langage et de la grammaire qui les met en place, non bien sûr pour déterminer le coup qui apporte le succès, " atteindre son but, ou agir de telle ou telle manière sur les hommes "( Recherches § 496), mais pour décrire " l’emploi des signes " (ibid.), en somme l’application correcte de la règle, dans la perspective de ce qui présente un sens. Mais si le statut du second Wittgenstein reste problématique, il constitue pourtant bien souvent une référence plus radicale encore que celle des nominalismes logiciens dans la chasse aux entités non nécessaires et le refus de toute théorie qui ne répond pas à de telles exigences.

Je vais d’abord reprendre ici quelques points de doctrine, tout en essayant de marquer à chaque fois en quoi le propos de Lacan s’en éloigne, pour en arriver en fin de parcours à la question de la vérité et, j’ajoute, du réel. En chemin, j’évoquerai quelques notions qui nous intéressent plus particulièrement, celles de sens, de sujet et de savoir, telles qu’on peut en repérer les contours dans les textes du second Wittgenstein.

Je commencerai d’abord par la question de l’universel dont la contestation est un des thèmes fondamentaux des Recherches. C’est par exemple à ce propos qu’on peut comprendre que Lacan réfère Wittgenstein à Ockham : le coeur même du discours nominaliste, c’est, pourrait-on dire, le refus de l’universel.

Wittgenstein rencontre une première fois ce thème à propos de ce que serait une définition du terme fondamental de Sprachspiel (jeu de langage) qu’il introduit au §7, non pas par une définition qui expliciterait sa signification générale, mais en proposant des exemples : langage primitif avec compréhension mutuelle, analysé à travers la référence à Augustin, exercices de dénomination d’objets élémentaires et de répétition de termes, activités entrelacés avec le langage.

De façon plus simple on peut opposer l’apparence uniforme des mots, qui semble appeler un concept général de la signification, et leur emploi effectif extrêmement divers. " Ce qui nous égare, il est vrai, est l’uniformité de leur apparence lorsque nous les entendons prononcer ou que nous les rencontrons écrits ou imprimés. Car leur emploi ne nous apparaît pas si nettement. Surtout pas quand nous philosophons. " ( § 11) D’où la comparaison avec le tableau de bord d’une locomotive (§12) : les manettes qui y figurent s’y ressemblent toutes plus ou moins – elles doivent toutes pouvoir être actionnées à la main – , alors qu’elles renvoient aux fonctions les plus diverses, manivelle, interrupteur, frein, pompe… Mais n’est-ce pas éluder la question de " ce qui est essentiel au jeu de langage et au langage lui- même… ", de " la forme générale de la proposition et du langage " ?

La réponse est qu’on peut tout à fait nier qu’il y ait quelque chose de commun entre les phénomènes de langage, et donc les jeux de langage, qui justifierait " que nous employons le même mot pour tous ". On peut seulement dire qu’ " ils sont tous apparentés les uns aux autres de bien des façons différentes. " On peut donner de nombreux exemples de jeux que l’on peut rapprocher les uns des autres sans que subsiste en eux tous un élément commun et invariable : " … le résultat de cet examen est que nous voyons un réseau complexe de ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent. Des ressemblances à grande et à petite échelle. "

Le § 67 introduit le terme de Familienähnlichkeit traduit par air de famille ou littéralement ressemblance de famille. Les êtres humains membres d’une même famille, ont bien des ressemblances qui " se chevauchent et s’entrecroisent. " Il n’y a donc pas à enfermer le contenu des termes " jeu " ou " jeu de langage " dans un concept qui signifierait ce qu’il y a de commun à tous les jeux ou jeux de langage : il suffit de décrire diverses sortes jeux et d’ajouter : " Nous nommons jeux ces choses-là et d’autres qui leur ressemblent. "

J’arrête ici ce développement des Recherches. On a manifestement affaire à une position nominaliste extrême (au sens large du terme). Alors que le discours du Tractatus, si implacable soit-il, reste bien dans la sphère du concept en se référant à la forme logique générale de la proposition, ce que met en cause le second Wittgenstein, c’est le concept lui même en tant que représentation générale ou universelle : d’où l’énoncé très ockhamien que les seules représentations douées de sens sont celles qui portent sur les choses particulières.

Ce refus de l’universel se double d’une polémique anti-essentialiste : les Recherches se livrent à une critique impitoyable de l’a priori logique et de la réalisation de l’Universel dans l’essence. Si la logique possède une signification générale, on peut dès lors penser qu’elle a une certaine profondeur, qu’elle est le fondement de toutes les sciences, qu’elle est révélatrice de l’essence des choses, qu’elle permet de cerner leur possible. Sans doute ne s’agit-il pas forcément d’atteindre un au-delà du monde à la façon du métaphysicien, mais simplement de comprendre quelque chose qui d’une certaine façon est déjà manifeste. Cette volonté de percer à jour les phénomènes est plutôt une recherche sur les possibilités des phénomènes. Mais cette analyse est en quelque sorte absolutisée, sublimée, comme le dit Wittgenstein, tout comme si nous aspirions à l’exactitude parfaite. Il y a sublimation (Sublimierung), " tendance à supposer un pur être intermédiaire entre le signe propositionnel et les faits, et aussi à vouloir purifier, sublimer, le signe propositionnel lui-même. " (§94) On peut voir dans le projet de mise en place de cette forme le moment où surgit l’illusion de l’essence idéale. La logique représente l’ordre a priori du monde, c’est-à-dire l’ordre des possibilités, qui doit être commun au monde et à la pensée. Cet ordre simple, antérieur à toute expérience est fait du cristal le plus pur : il ne doit être affecté par aucune impureté ou incertitude provenant de l’expérience (§ 97). Les Recherches ont ici le procès du Tractatus et même du projet général de ce qu’on appelle couramment la philosophie analytique, esquissé par Leibniz, soit de la réduction du langage commun, incertain et ambigu, à une expression logicisée, formalisée, qui manifeste la véritable essence de la raison et peut cerner ainsi de façon rigoureuse le possible du fait. Notons que Wittgenstein fait intervenir le concept de purification qui est une façon d’entendre ce qu’on appelle la formalisation – et il conteste la pertinence de la substitution d’une langue formalisée, réduite aux énoncés logiques, à la langue naturelle et ordinaire à laquelle doit se tenir la philosophie telle qu’il l’entend désormais – et d’autre part il vise le réalisme de l’intelligible, propre à Leibniz et à Frege, et auquel le Tractatus, même s’il le rejette, reste fidèle dans sa référence à la possibilité logique et à l’objet. Le signe n’a désormais pas d’autre statut que celui d’une donnée du langage que nous utilisons. Comme l’assure le § 43 des Recherches : " La signification d’un mot est son emploi (Gebrauch) dans le langage (…) " et il s’agit d’un emploi particulier et circonstancié.

Au regard la position de Lacan est une position rationaliste traditionnelle qui reconnaît, sur le fond de l’indépendance de l’ordre symbolique, la consistance de la rationalité et n’hésite pas à dénoncer chez les psychanalystes " le refus du concept " (Les Quatre concepts…leçon du 22 janvier). En relation avec les concepts fondamentaux de la psychanalyse, il évoque, de façon générale " la conception que nous nous faisons du concept " (ibid.) en notant que la discontinuité caractérise l’émergence du concept : "…si le concept se modèle d’une approche à la réalité, à une réalité qu’il est fait pour saisir, ce n’est que par un saut, un passage à la limite qu’il s’achève à se réaliser. " (ibid.)

Aux yeux de Lacan, c’est la raison et non l’empirie qui joue un rôle moteur dans les progrès de la connaissance scientifique – je pense à son attachement à l’oeuvre de Koyré ; et plus précisément il considère l’universel en tant qu’universel stricto sensu, comme le montre en particulier sa référence à la falsifiabilité poppérienne qui le présuppose. Simplement cet universel n’est pas une donnée originaire comme il semble se présenter chez Aristote, dans une Raison immanente au monde. Il présuppose l’exception qui le fonde, comme Lacan a pu la lire chez Peirce, et il n’y a pas là contradiction logique, mais opposition de registres, nécessité de poser la chute d’un Un dans le Réel pour que puisse se constituer l’énoncé universel, au coeur même de la fonction symbolique.

Sans doute ne s’agit-il pas de faire du discours de Lacan un discours conceptuel tel que le conçoit la philosophie rationaliste, mais simplement de reconnaître l’irréductibilité du concept par rapport à l’empirie, quitte à marquer ensuite sa limitation, celle d’un élément d’ordre symbolique, dont la prise sur la réalité peut aussi bien manquer le réel. Enfin a parte rei, si je puis dire, l’universel prend une portée structurale comme le montre la logique de la sexuation : là encore que le Tout phallique présuppose une exception fondatrice, ou qu’il trouve sa limite dans le réel du pas-tout, n’efface en rien son caractère effectif : limité par le Réel, il ne saurait se réduire à une illusion imaginaire.

Derrière ce saut, cette rupture avec le sensible, tant affirmé par Platon ou Descartes, ou cette portée structurale accordée à l’universel, ce qui est en jeu c’est l’ordre symbolique lui-même, la coupure signifiante : le discours de Wittgenstein prétend au contraire, radicaliser la tradition nominaliste en effaçant toute coupure propre à la fonction symbolique et l’ek-sistence même de cette fonction. Je reviendrai plus loin sur ce point.

Quant à la question de Wittgenstein : " Dans quelle mesure la logique est elle quelque chose de sublime ? "(§89 des Recherches) il me semble que le parti pris rationaliste n’est pas seulement philosophique, ni en rapport avec une quelconque " maladie d’idéalité ", mais qu’il est lié à l’articulation de la psychanalyse au discours de la science dans la perspective d’un cernage du réel. La formalisation n’est pas " sublimation " au sens où l’ entend Wittgenstein : elle est comprise par Lacan comme jeu d’écritures, ce qui entraîne une conception toute différente des rapports du signe et du réel et lui permet de se situer dans une position franchement réaliste. Il ne s’agit pourtant nullement d’un réalisme de l’intelligible qui tomberait sous le coup de la critique que le § 96 des Recherches effectue de la notion d’ image représentative. Le réalisme de Lacan est un réalisme du Réel qui écarte de celui-ci toutes les projections imaginaires qu’implique l’idée de connaissance. C’est évidemment en cette question du Réel que se situe la plus grande distance entre Lacan et Wittgenstein. mais avant de l’aborder, j’évoquerai la question de la vérité et, au titre de préalable, celle du sens, qui le plus généralement est décrit comme sa condition.

Je ferai d’abord une remarque latérale sur la conception du sens dans le Tractatus puisque Lacan semble en avoir été particulièrement frappé : les règles qui constituent la logique, nous dit-il, en reconstruisant la pensée de Wittgenstein, sont tautologiques, c’est-à-dire ne montrent aucun sens.

Peut-être la notion de non-sens (Unsinn) intéressait-elle particulièrement Lacan à cause de son propre abord de la logique, mais cet abord est vraiment tout autre que celui de Wittgenstein, et il eût été plus exact d’utiliser le terme " privé de sens " (sinnlos). En effet la logique ne se situe pas pour Wittgenstein dans le pur non sens : elle peut donner occasion à la philosophie de tracer les frontières du sens : celles-ci ne peuvent être dites mais se montrent dans la forme logique des propositions. Sans doute les propositions de la logique sont analytiques au sens kantien (6.11) : elles décrivent la (pure) forme générale de la pensée. Elles sont assimilables à des tautologies (6.1) qui n’apportent aucune information sur les faits ; elles sont donc privées de sens (sinnlos) – seules les propositions bipolaires de la science, susceptibles d’être vraies ou fausses sont douées de sens.

L’insensé serait à situer – je laisse la question difficile des mathématiques dans le Tractatus – plutôt du côté des propositions de la métaphysique traditionnelle parce qu’elles violent la syntaxe logique cf.6.53 : " (…) quand quelqu’un d’autre voudrait dire quelque chose de métaphysique, lui démontrer toujours qu’il a omis de donner, dans ses propositions, une signification à certains signes. " Ce n’est pourtant pas le cas des propositions du Tractatus lui-même – la philosophie telle que l’entend Wittgenstein – , qui ne sont pas assimilables aux propositions de la métaphysique, car elles expriment de façon pertinente les nécessités de l’expression sensée : ce sont des pseudo-propositions qui, en éclairant le non sens, essaient de dire ce qui ne peut qu’être montré. Elles sont dépourvues de sens, comme le sont les tautologies. Elles ont donc vocation à être dépassées. Elles sont comparables à une échelle sur laquelle on monte mais que l’on jette après l’avoir utilisée.

Dans sa seconde philosophie, où il récuse l’amarrage purement logique du sens, Wittgenstein ne pouvait qu’abandonner cette mise en place rigide puisqu’il situe son propos dans la langue naturelle. J’en resterai à quelques points.

Tout d’abord, si Wittgenstein n’identifie pas purement et simplement pensée et langage, leur lien à ses yeux est essentiel. La capacité à avoir des pensées exige la capacité à manipuler les symboles. L’expression des pensées est nécessairement langagière. Et le sens de ce que nous disons peut être référé au sens de ce que nous pensons.

En outre l’établissement du sens est étroitement lié à un jeu de langage particulier : la pierre de touche , c’est l’usage à l’intérieur du jeu. On ne doit pas imiter le philosophe qui prétend altérer les frontières du sens par décret : toute introduction d’une forme nouvelle doit s’accompagner de sa règle d’usage et pouvoir montrer son application. Et le langage du métaphysicien, insensé à ses yeux, néglige l’explication des règles ou ne cesse de brouiller les formes de jeux incompatibles.

Enfin. les règles qui déterminent le sens dans un jeu de langage ne constituent pas un ordre parfait : un jeu n’est pas délimité par des règles sous tous les rapports : par exemple au tennis il n’y a pas de règle déterminant à quelle hauteur on est autorisé à lancer la balle ou à quelle force. Cela signifie-t-il que nous ignorons les limites dont nous ne parlons pas ? Non , car elles n’ont pas été tracées ; mais nous pouvons en tracer une dans un but particulier. Est-il en outre dénué de sens de dire à quelqu’un pour un jeu : " Tiens-toi à peu près là. " ? Cela peut être tout à fait suffisant pour le mode d’emploi.

Ce n’est pas dire que l’arbitraire triomphe. On ne peut pas penser ou croire une contradiction. Une proposition nécessairement fausse ne peut être spécifiée par un usage de signes doués de sens, elle exclut un coup dans le jeu de langage. Glock dans le Dictionnaire Wittgenstein (p 408) cite le § 134 des Fiches : " il n’y a pas de roque au jeu de dames " et le §499 des Recherches précise : " Dire : " cette combinaison de mots n’a pas de sens " l’exclut de la sphère du langage, et délimite par là le domaine du langage. "

Le même Glock (p 409), illustre ce point en se référant à la phrase fameuse des Structures syntaxiques de Chomsky " Colourless green ideas sleep furiously "(" Des idées vertes sans couleur dorment furieusement "), exemple d’énoncé bien formé au point de vue syntaxique, mais irrecevable au point de vue sémantique. Ce genre d’énoncé, remarque-t-il, Wittgenstein ne peut que le rejeter à partir du principe qu’il n’y a pas de milieu entre sens et non sens, même si la frontière peut être mouvante.Et le choix des signes et la règle de leur emploi font partie de la grammaire du jeu et pas seulement le mode de combinaison syntaxique.

En sens inverse, le commentaire de cet énoncé, que fait Lacan dans la première journée des Problèmes cruciaux, a pour objet de montrer que la phrase en question est pleine de sens : la diversité des combinaisons signifiantes est illimitée et le jeu des non-sens fécond à produire des pas-de-sens. Ce qui est en cause ici ce n’est évidemment pas l’insensibilité des philosophes à l’effet poétique, mais une conception rigide de la pensée et du sens(1). Ne peut-on toutefois objecter qu’un discours théorique n’est pas un discours poétique, et que, si beaucoup de discours philosophiques modernes ont fait une grande place aux images et aux métaphores, c’est tout de même l’articulation conceptuelle qui reste déterminante ? C’est ignorer à mon sens que tout discours théorique est soutenu par une énonciation – sinon un dire -. Le " style " de beaucoup de philosophes modernes, de la tradition allemande ou française, manifeste clairement cette composante du discours théorique (2). C’est certainement vrai du " syle " du Tractatus. Et celui des Ecrits prend à cet égard figure de modèle.

En outre il ne s’agit pas seulement du discours théorique de Lacan : l’expérience freudienne à son point d’acmè, telle qu’elle se manifeste dans le Mot d’esprit, la Psychopathologie de la vie quotidienne ou les grandes Psychanalyses, tout comme la pratique quotidienne de l’analyste, pratique de signifiant, présupposent à leur fondement, cette conception " métaphorique " du sens qui prend aux yeux de Lacan une valeur absolument générale. Je cite D’un discours qui ne serait pas du semblant (10 février) : " Il est de la nature du langage, je ne dis pas de la parole, je dis du langage même, que, pour ce qui est d’approcher quoi que ce soit qui y signifie, le référent n’est jamais le bon, et c’est ça qui fait un langage. Toute désignation est métaphorique ; elle ne peut se faire que par l’intermédiaire d’autre chose. " Ici le second Wittgenstein, malgré son effort pour dénoncer la clôture du sens, lorsqu’il exclut implicitement le non-sens de la métaphore, se trouve bien du même côté que la philosophie rationaliste. Même si interviennent dans les Recherches de constants effets d’énonciation, l’exigence de clarification implique un primat absolu de l’énoncé, seul terrain où peut se fixer le produit de l’élaboration philosophique. Je note en outre que contrairement aux philosophes de l’école d’Oxford, Wittgenstein ne s’intéresse pas au contenu de la langue naturelle pris en lui-même, il subordonne celle-ci à cette exigence de clarification : la polémique contre l’universel se situe bien sur le même terrain que celui de la philosophie qu’il vise, celui du concept.

J’ai noté plus haut la thèse du Tractatus qui réduit le champ du sens à celui de la vérité, vérité-correspondance, qui concerne les états-de-choses et aucunement le sujet, lui-même aboli. C’est en tout cas ce registre qui a le plus retenu Lacan dans ses remarques sur le Tractatus. Quelle que soit l’estime que Lacan manifeste pour la pensée de Wittgenstein, on ne peut pas imaginer opposition plus radicale qu’avec l’auteur du Tractatus sur la question de la vérité. Je rappelle la façon dont Lacan entend Wittgenstein : le vrai est circonscrit à une structure logique ou grammaticale ; si le vrai est le prédicat de la proposition crue, il est interne à la proposition ; Wittgenstein en exclut donc tout ce qui concerne l’énonciation d’un sujet. Il situe la vérité dans le seul savoir, un savoir qui ne reçoit sa détermination que de sa relation de correspondance avec la réalité.

Or c’est précisément à ce point que Lacan a introduit une opposition fondamentale pour sa théorisation de la psychanalyse, celle de la vérité et du savoir. De fait la tradition philosophique a généralement fait du vrai un prédicat du savoir : c’est la vérité qui fonde la valeur du savoir, mais sans l’ancrage de la vérité dans le savoir – serait-ce sous la modalité de l’illumination noétique ou de la gnôse – comment la saisir ? Platon ou Hegel ont bien opéré un décrochage " provisoire " entre vérité et savoir, mais il ne prend son plein sens que dans la résorption ultime que réalisent la " science parfaite " ou le " savoir absolu "(3)

Dans le Séminaire de L’Acte analytique Lacan déclare : " Le savoir en certains points qui peuvent être méconnus fait faille. Et ce sont précisément ces points qui pour nous font question sous le nom de vérité. " (Journée du 29 novembre) Ce qui fait faille dans le savoir, à travers les formations de l’inconscient, c’est la vérité qui parle : vérité non en ce qu’elle dirait la vérité – en elle la fiction est première – mais en ce qu’elle témoigne de ce dont les philosophes ne parlent jamais, du sexe, ou plutôt du réel du sexe, du " caractère irréductible de l’acte sexuel à toute réalisation véridique " (ibid. 22 novembre). On conçoit que cette disjonction de la vérité et du savoir reste opaque pour le discours philosophique.

Si on revient à la lecture que fait Lacan du Tractatus, on comprend qu’il puisse contester que " la vérité puisse d’aucune façon être isolée comme attribut, attribut de quoi que ce soit qui puisse s’articuler en savoir ". Le vrai n’est pas interne à la proposition : il faut considérer le point de vue de l’énonciation. " J’ai une raison de le dire ". Et, au delà, la vérité tient au manque réel du sujet que recouvre l’effet de sens. Citons l’énoncé le plus radical de Lacan prenant dans ce commentaire de Wittgenstein la défense du désir et de la vérité qu’il recouvre : " Il n’y a de sens que du désir (…), de vérité que de ce qu’il cache (le dit désir) de son manque, pour faire mine de rien de ce qu’il trouve. "

Vu la réduction drastique opérée par Wittgenstein dans le Tractatus, Lacan peut soutenir qu’en refusant l’opération de sauvetage de la vérité à laquelle se livrent le plus souvent les philosophes, Wittgenstein fait en sorte que de cette vérité – celle du sujet -, il n’y ait plus rien à dire. Et il est comparable à l’analyste en cela qu’ " s’élimine complètement de son discours ". Comparaison qui évoque l’objet a et qui ne surprendra pas ceux qui se sont un peu intéressés à sa vie et la position de déchet où il se situe pendant ses accès mélancoliques(4). Et dans le texte philosophique lui-même, ce qui apparaît le plus clairement, c’est l’acharnement qu’il met à dénier toute consistance au sujet, point sur lequel nous allons revenir.

Après le Tractatus, pour ce qui est de sa conception de la vérité, Wittgenstein a beaucoup varié, qu’il ait soutenu la théorie de la vérité-correspondance, dont le Tractatus donne une version, ou celle de la vérité-redondance empruntée à Tarski. Mais sa position ultime, comme le précise Glock, ne réduit pas la vérité au jeu de langage qui conditionne sa saisie : les régles déterminent quels sont les énoncés empiriques doués de sens, mais non la vérités de ces énoncés, qui dépendent de la manière dont sont les choses. Les règles du jeu de langage, si on peut du moins les situer du côté du sujet, ne sont que des règles pour l’usage sensé des mots dont nous venons de voir la portée et elles ne sont ni vraies ni fausses. Wittgenstein reste donc à l’intérieur d’une certaine forme de réalisme et la vérité n’est pour lui jamais situable du côté du sujet.

Notons, pour conclure ces remarques sur la vérité, que Wittgenstein, quand il parle de la cure freudienne(5), reste aveugle à ce que Lacan sait y lire concernant la vérité. Wittgenstein, dans sa critique de Freud, met en lumière avec perspicacité un point essentiel, quand il se demande si dans l’interprétation du rêve, le moment où on s’arrête, c’est celui où le patient est satisfait ou si c’est le savoir du " docteur " qui est déterminant, avec la possibilité d’une erreur du patient : le dilemme, qu’on peut retrouver dans la question de la fin de la cure, a une portée générale : et il intéressant de pointer que manque justement, dans le propos de Wittgenstein, comme élément tiers décisif, l’instance de la vérité. Lacan dans L’Envers de la psychanalyse (10 Juin) cite une phrase de Freud dans Analyse terminable et interminable : " Il n’est pas à oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité, ce qui veut dire la reconnaissance de la réalité " Il est tout à fait clair que sans cette référence à la vérité, l’entreprise de la psychanalyse perdrait son sens, l’interprétation, comme le note Lacan dans la Logique du fantasme (21 Juin), se réduirait à la suggestion. Mais cette vérité dont Freud nous dit qu’elle est " reconnue " peut-elle porter sur autre chose que ce sujet, dont Wittgenstein ne veut rien savoir, comme aussi bien d’ailleurs tous les philosophes contemporains qui, à l’encontre de ses positions, se tiennent dans le discours de la science.

La question du sujet est liée à celle de la vérité et elle est essentielle. Le solipsisme du Tractatus est célèbre : cf. 5.62 " (…) ce que le solipsisme veut signifier est tout à fait correct (…) " et plus loin dans le même paragraphe : " Que le monde soit mon monde, cela se montre en ce que les limites du langage (du langage que seul je comprends) signifient les limites de mon monde. " Non seulement il y a un sujet, mais il est seul au monde. Mais si comme l’ajoute Wittgenstein, cela ne peut pas se dire, mais seulement se montrer, c’est que ce Je qui est censé envelopper toutes choses, est introuvable : " Il n’y a aucun sujet pensant ou se représentant (…) " (5.631) " Le sujet n’appartient pas au monde, il est une frontière du monde. " Le sujet métaphysique est au monde ce que l’oeil est au champ visuel : rien dans le champ visuel ne permet de conclure qu’il est vu par un oeil. Je cite 5.64 " On voit ici que le solipsisme, développé en toute rigueur, coincide avec le réalisme pur. Le je du solipsisme se ratatine à un point sans extension, et il reste la réalité qui lui est coordonnée. "

Pour prendre une seconde référence sur le sujet, cette fois du second Wittgenstein, – mais il y a des textes très divers sur cette question – je me réfèrerai aux Recherches Les § 398 à 401 reviennent sur le thème du champ visuel ou plutôt de la chambre (Zimmer) visuelle que Wittgenstein s’amuse à opposer à la chambre matérielle. Lorsque le sujet s’approprie sa perception visuelle ( : " quand je vois effectivement des objets, j’ai bien quelque chose que n’a pas mon voisin "), Wittgenstein remarque : pourquoi ces mots ? Ils ne servent à rien : il n’est pas question ici d’un voir – on ne voit pas le champ visuel – ou d’un avoir, ni même d’un sujet ou d’un moi. La chambre visuelle est ce qui n’a pas de possesseur. Je ne peux pas plus la posséder que je ne peux me déplacer en elle, la regarder ou la montrer du doigt, Contrairement à la chambre matérielle elle ne peut appartenir à personne cf. le § 399 : " (…) le possesseur de la chambre visuelle devrait certainement être de même nature qu’elle : mais il ne se trouve pas en elle et il n’ y a pas non plus de dehors… ".

Ainsi le monde de la représentation est intégralement décrit par la description de la représentation. Le je n’est donc en fait qu’un signe pour les autres, analogue à " Attention maintenant ! ".

La suite du passage (§403) se réfère à ce qu’on appelle en philosophie le sentiment intérieur, celui que, dit-on, on est seul à éprouver et à connaître. N’y a-t-il pas là de quoi retourner au solipsisme ? Non, comme le montre le §404 " Lorsque je dis : " Je ressens des douleurs ", je ne désigne pas la personne qui les ressent, car, en un certain sens, je ne sais pas du tout qui les ressent. " Quand je dis " Je ressens ", je ne nomme par là aucune personne, pas plus que je n’en nomme une quand je gémis de douleur. Je sais qui ressent des douleurs quand je vois quelqu’un qui gémit en face de moi et je peux me demander si je le sais bien s’il s’agit de deux personnes très éloignées de moi sur une route. Mais il n’y a aucun critère de l’identité personnelle qui me permettrait de dire que je ressens des douleurs. Le §408 objecte : " Tu ne doutes cependant pas sur le point de savoir si c’est toi ou quelqu’un d’autre qui ressent des douleurs. " Réponse du philosophe : la proposition " Je ne sais pas si c’est moi ou quelqu’un d’autre qui ressent des douleurs " serait un produit logique, dont l’un des facteurs serait : " Je ne sais pas si je ressens ou non des douleurs " – et cette proposition est dépourvue de sens. La proposition : je ressens une douleur est une expression analogue aux réactions naturelles ; dans son usage premier, elle n’a pas de fonction descriptive : " Comment puis-je aller jusqu’à vouloir me glisser au moyen du langage entre l’expression de la douleur (Schmerzäusserung) et la douleur même ? " (§245) Dans le cas des phénomènes mentaux et contrairement à la perception des objets, il n’y a pas de possibilité d’écart entre ce qui semble être le cas et ce qui est le cas. L’idée d’une perception erronée ou sujette à confusion est dépourvue de sens. Il n’y a pas de réponse sensée à la question : comment savez vous que vous avez mal ? Je n’observe ni ne perçois ou reconnais mes propres sensations ou expériences, elles sont là, tout simplement. Le discours philosophique sur l’introspection ou le sens interne est métaphorique. Wittgenstein va jusqu’à rejeter l’idée d’un savoir sur soi, alors que les autres, eux, peuvent savoir que j’ai mal. Le je n’a pas de référent et ces énoncés à la première personne n’ont pas de portée cognitive. La contrepartie, c’est le sentiment immédiat et irrécusable, hors du champ du savoir et de la vérité, mais, si je puis dire, parfaitement asubjectif. Nous sommes ici dans un registre qui n’est pas celui de l’imaginaire mental de la philosophie idéaliste : nous rencontrons bien quelque chose qui est de l’ordre du réel.

Reste tout de même la question du sujet philosophique, impliqué dans ce discours, qu’apparemment il organise. Lui, dit Lacan, il ne voulait pas sauver la vérité. Je dirai néanmoins que même chez Wittgenstein, il y a un lieu qui fait tenir le dispositif. D’un côté, du fait de sa conception non relativiste de la vérité, il y a bien toujours le fait empirique qui a quelque chose d’irréductible au jeu de langage . De l’autre côté reste la question de l’organisateur du jeu de langage philosophique : quelques remarques sur la méthode du philosophe peuvent nous éclairer.

Le § 109 des Recherches, dans la lignée du Tractatus, fait de la philosophie " un combat contre l’ensorcellement de notre entendement par les ressources de notre langage. " Les problèmes philosophiques ne sont pas empiriques au sens où ils ne portent pas sur les faits : un problème philosophique est de la forme : " Je ne m’y retrouve pas (Ich kenne nicht mich aus)" : ce qui donne a contrario à la démarche " sa lumière, c’est-à-dire son but ". Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de décrire , non pour seulement décrire, mais en vue de ce qui donne la solution du problème, " une mise en ordre de ce qui est connu depuis longtemps ". Ainsi, de la démarche d’un sujet philosophique, mis au pluriel pour effacer toute portée particulière de cette démarche, pourra-t-on dire : "Nous reconduisons les mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien. " ( § 116)

Le terme clé est celui d’übersehen traduit par " voir " ou " vision synoptique " : il nous manque une vue synoptique de l’emploi des mots. De quel " voir " s’agit-il ? Certainement pas d’une vision de l’essence à la manière de Husserl, qui relèverait de l’ illusion selon laquelle si je pouvais ajuster avec précision mon regard, je parviendrai à saisir l’essence en question. La représentation synoptique ( übersichtliche Darstellung) qui a, de l’aveu même de Wittgenstein, une signification fondamentale, procure la compréhension (Verstândnis) qui consiste à voir des connexions ( Zusammenhänge sehen) et on peut dire que le philosophe a pour activité de trouver et d’inventer les maillons intermédiaires (Zwischengliedern) qui lui permettent d’assurer la confrontation des énoncés et des règles – Wittgenstein a d’ailleurs l’honnêteté de se demander s’il ne s’agit pas là d’une conception du monde ( Weltanschauung) (§122) – C’est la confrontation des énoncés qui font difficultébavec les règles des jeux de langage que l’on peut construire, qui permet de comprendre, de repérer dans le problème posé ce qui relève du non sens (§119) ( puisque la philosophie va du non sens au non sens.)

Ce point de repère, reconnaissons-le, n’en est pas moins bien fragile, et ne semble pas vraiment dépasser les limites d’une philosophie de la conscience, même si l’ego en est soigneusement écarté. Il donne une certaine consistance à l’idée d’un sujet philosophant, même si Wittgenstein se garde d’utiliser une telle expression. J’ajoute que la référence aux formes de vie, activités régulières d’une communauté où s’insèrent les jeux de langage, si elle implique une certaine subordination des pensées individuelles mises en oeuvre dans ces jeux, ne me paraît pas vraiment affecter ce que j’appellerai les normes de l’activité philosophique. Celle-ci reste d’ailleurs manifestement associée au vocabulaire de la maîtrise. Wittgenstein évoque la maîtrise (verbe beherrschen) d’un langage ( § 338, 508), comme il évoque celle d’un jeu ( § 31, 145, 185) ou aussi bien d’une technique de calcul ( § 150, 692).

Faut-il pour conclure sur cette question du rapport du sujet à la vérité évoquer un savoir bouclé sur lui-même ? Il faut rendre justice à Wittgenstein : il a tout fait pour éviter le bouclage d’un savoir absolu – j’ajoute qu’il détestait Hegel – , et à défaut d’une dissociation effective entre savoir et vérité, on peut ici au moins se référer à la manière très originale dont il pose la question du fondement du savoir, disons plutôt de la croyance, dans son texte sur la Certitude. L’ensemble de nos croyances et des énoncés auxquels nous adhérons sont-ils susceptibles d’être fondés, au sens par exemple où le discours philosophique et scientifique courant se représente le savoir théorique comme un ensemble d’énoncés vrais fondé sur des principes eux-mêmes vrais ? La réponse de Wittgenstein est négative. Il semble qu’il existe des énoncés indubitables, à propos desquels pourtant il n’est pas sensé de faire intervenir des procédures de vérification, parce que ce ne sont pas des connaissances : " Toute vérification, toute confirmation et infirmation d’une hypothèse a lieu déjà à l’intérieur d’un système. Et ce système n’est pas un point de départ plus ou moins arbitraire ou douteux de tous nos arguments ; il appartient à l’essence même de ce que nous appelons un argument. Le système n’est pas tant le point de départ de nos arguments que leur milieu vital (Lebenselement) " (105) Ce milieu vital ou " image du monde " est " la toile de fond dont j’ai hérité et sur laquelle je distingue le vrai du faux. "(94). Il ne s’agit pas là d’une réduction anthropologique banale du savoir, dont tant d’interprètes de Wittgenstein se sont régalés, mais plutôt d’une exigence qui tient à sa grammaire : " (…) lorsque nous vérifions quoi que ce soit, nous présupposons quelque chose que nous ne vérifions pas (…) " (163) " Au fondement de la croyance bien fondée est une croyance non fondée, " dit le § 253, non parce qu’on pourrait en douter, mais en tant qu’elle se situe en dehors du cadre de justification. C’est bien sûr à l’intérieur d’un jeu de langage que l’on peut douter, mais " l’absence de doute appartient au jeu de langage " : il en est un élément constitutif . Wittgenstein atteint ici me semble-t-il comme une approche de ce que Lacan nomme réel. Non seulement il s’agit de ce qui fait tenir la fonction symbolique : " (…)Si je veux que la porte tourne, il faut que les gonds restent fixes. "(343), mais ce nid de propositions n’émerge pas dans l’explicitation des règles, et on peut dire que l’activité symbolique à la fois tient par lui mais, en tant qu’elle cherche à s’expliciter, bute sur lui : " une fondation qui va de soi et qui, en tant que telle, reste inarticulée. "(167)

Je vais maintenant terminer par la question de l’Unglauben qu’évoque Lacan à propos de Wittgenstein, ce qui me permettra de conclure sur la notion de réel.

L’Unglauben, " qui n’est pas le ‘n’y pas croire’, mais l’absence d’un des termes de la croyance " (Quatre concepts – 10 Juin), concerne la question de la division du sujet : Lacan assure qu’" il n’est pas de croyance qui soit, si l’on peut dire, pleine et entière, ( …)qui ne suppose dans son fond que la dimension dernière qu’elle a à révéler est strictement corrélative du moment où son sens va s’évanouir. " (ibid.) Autrement dit, si je comprends bien le texte, ce qui est en cause, dans l’évanouissement du sens, c’est le détachement du S2, la mise en place d’un Autre, auquel on peut croire justement parce qu’il ne sait pas.

Dans le texte des Recherches, l’ Autre est au contraire présenté à ciel ouvert et implacablement traqué. Wittgenstein remarque (§ 118) que ses considérations " semblent ne faire que détruire tout ce qui présente de l’intérêt, c’est-à-dire tout ce qui est grand et important… " : il ne reste plus que " des débris de pierre et des gravats ". " Mais en fait ce sont des châteaux de sable qui sont détruits ". L’envers positif de l’opération, suggère Lacan, c’est la détection de la canaillerie, de toute pensée qui prétend se situer à la place de l’Autre, et particulièrement d’un Autre qui sait tout. Mais cet Autre n’était-il pas le seul Autre auquel Wittgenstein avait affaire ?

Si maintenant on se réfère au texte de l’Ethique de la psychanalyse (3 Février), on voit Lacan situer les trois grandes activités de la culture par rapport à la Chose : l’art organise quelque chose autour de son vide, la religion évite ce vide et le " respecte ", la science, elle, est dans le registre de l’Unglauben, quand la Chose est rejetée au sens de la Verwerfung, et c’est l’opération même du discours scientifique. Elle est en ce sens explicitement liée par Lacan à la philosophie en ce qu’elle mettrait en oeuvre un idéal de Savoir absolu : le Savoir absolu, Tout-Symbolique, forclôt la dimension de la Chose – qui est celle d’un réel concernant le sujet – mais , dit Lacan, il la pose tout de même, tout en n’en faisant pas état. On peut même ajouter que les grands systèmes philosophiques – y compris ceux qui prétendent accomplir la clôture de la " science parfaite " ou du " savoir absolu " – manifestent toujours une part réelle du sujet qui s’y est représenté.

Sans doute les textes philosophiques relèvent-ils d’une articulation symbolique. Que les images y soient convoquées ou qu’elles en soient chassées – il y a ces deux mouvements dans les Recherches philosophiques – reste à distinguer du fait que l’articulation conceptuelle soit en elle-même imprégnée d’imaginaire , et que les " évidences " qui la " fondent " soit en fait destinées à masquer ce qui fait trou dans le symbolique. Ainsi le philosophe peut-il apparaître dans le rôle du tenant-lieu de la vérité. Et la lecture que Lacan fait des grands philosophies vise à faire apparaître dans leur articulation le réel de la structure au point où il est masqué.

Cette perspective peut-elle être appliquée à Wittgenstein ?

Si ‘rasoir de Wittgenstein’ il y a, comme le suggère Lacan, plus ‘féroce’ que celui d’Ockham, on peut d’abord évoquer la critique que fait Lacan du nominalisme. Je rappelle que Wittgenstein dans les Recherches refuse dans le nominalisme l’assimilation abusive du mot au nom (§383), mais qu’il assume parfaitement le rasoir d’ Ockham dès le Tractatus (5.47321) Or ce que Lacan refuse dans le nominalisme, c’est la réduction, qu’il opère, au nom du rasoir, de la relation du signe à l’objet, à la relation la plus simple possible avec seulement deux pôles. Il déclare dans D’un discours qui ne serait pas du semblant (20 Janvier) " Je ne suis pas nominaliste, je veux dire que je ne pars pas de ceci que le nom, c’est quelque chose qui se plaque comme ça, sur du réel ", et il souligne alors la portée d’un élément tiers et, si on peut dire intermédiaire, le semblant, autrement dit l’articulation symbolique. C’est encore un tiers élément, comme ek-sistant, que nous retrouvons dans un passage parallèle de RSI (11 Mars). Pour ce qui est de la dénomination, Platon " … s’était rendu compte qu’il y fallait le tiers, le troisième terme de l’idée, de l’eidos…, un très beau mot grec pour traduire ce que j’appelle l’imaginaire… " " Il a très bien vu que sans l’eidos, il n’y avait aucune chance que les noms collent aux choses ". Au schéma simpliste du nominalisme, qui tend à confondre les registres – on doit substituer un schéma ternaire, celui que montre le noeud borroméen : "… le réel, c’est ce qui ek-siste au sens, en tant que je le définis (i.e. le sens) par l’effet de la langue sur l’idée, soit sur l’imaginaire supposé par Platon à l’animal parlêtre… " (ibid.) Tout en rendant " hommage à l’effet de nom sur le réel, à savoir à ce que ça y ajoute qu’on le nomme… ", le nominalisme " s’interdit d’avouer cet hommage "(ibid.), contrairement au " réalisme du nom " qui se délecte des entités…imaginaires.

La référence à l’élément tiers prend ainsi tout son sens de la mise en place du noeud borroméen et de l’ek-sistence des trois registres qu’implique la référence au réel comme trois. Or on est frappé par le fait que dans le discours de Wittgenstein les registres lacaniens semblent ne pas ek-sister : on a quelque mal à les repérer comme à la fois distincts et noués. Il y a plutôt continuité, discours d’un seul tenant, où on passe sans rupture d’un registre à l’autre, comme le montre l’inlassable argumentation dirigée contre la coupure conceptuelle, ou encore le fait que le réel s’y présente directement, de façon symétrique par rapport aux deux autres registres, si du moins j’entends bien la conception d’une expression des états mentaux hors savoir ou hors vérité, ou de la fondation " inarticulée " de la certitude. Et je n’évoquerai pas la philosophie des mathématiques, extrêmement complexe, à laquelle Wittgenstein a consacré une partie très importante de son oeuvre. Mais là encore, il me semble que c’est l’effacement de la coupure, la continuité qui prévaut par rapport à la notion de jeu de langage, si c’est l’ " acceptabilité de la règle " qui est visée par la preuve et non la " vérité d’un énoncé " : on est au plus loin de l’implication du réel dans l’émergence de l’écriture mathématique que nous propose Lacan.

Une dernière remarque pour conclure. L’admirable radicalité du propos de Wittgenstein, par delà sa signification destructrice et l’accomplissement sans compromis qu’il réalise de la tradition du rasoir d’Occam a un pouvoir séducteur incontestable. Un grand philosophe invite ainsi ses lecteurs à une sublimation libératrice, où il s’agit de sacrifier à une clairvoyance rigoureuse la philosophie elle-même et les entités imaginaires qu’elle ne cesse de mettre en oeuvre depuis ses origines. Mais relativement à cette entreprise, le discours analytique, et particulièrement la théorisation qu’en a donnée Lacan, nous avertissent que tout ne se joue pas pour le sujet au plan de l’idéal et de la sublimation et que doit être évoqué un autre ancrage identificatoire où le sujet a la possibilité d’assumer le manque, sans prétendre le mettre dans la pleine lumière de ce qui est dit. J’ai noté plus haut que dans les Recherches les effets d’énonciation ne valent jamais que dans la perspective d’une clarification du sens et que l’énonciation reste toujours subordonnée au dit et à l’énoncé.

Peut-être faut-il évoquer en regard un texte de Lacan où celui-ci revendique pour son entreprise le terme de philosophie, celui de la journée du 11 Mai du Sinthome. Lacan y rappelle que " le dit n’est pas du tout forcément vrai(…) Autrement dit le dit qui résulte de la philosophie… n’est pas sans un certain manque. " Ce dont le discours philosophique ne parle jamais me semble pouvoir être entendu comme le réel du sexe, l’impossibilité du rapport sexuel, dont le cernage est la grande nouveauté du discours analytique. En relation avec lui Lacan évoque la scansion temporelle, où, du fait de l’interprétation, quelque chose peut émerger de l’articulation propre au sujet, et que la topologie tente d’écrire, le " temps pensé " : c’est, me semble-t-il la forme même de l’opération analytique. Ce " temps pensé ", c’est la philia, et ce qu’il y a de philia dans la philosophie " peut prendre un poids ". Cette philia de la Sagesse, Lacan propose de la supporter du noeud borroméen. Ainsi le Logos d’Héraclite peut-il s’incarner dans une rationalité qui ne se contente pas de témoigner du manque, tout en le masquant, comme le fait Wittgenstein et avec lui tous les autres grands philosophes, mais tente de suppléer au manque que manifeste le discours philosophique par le recours à l’écriture, et par là d’en prendre la mesure : " … l’écriture (celle du noeud borroméen), change le sens, le mode de ce qui est en jeu, et ce qui est en jeu, c’est cette philia de la sagesse. " Je laisse à Lacan la responsabilité de ce qui, dans ce passage du Sinthome que je viens de citer, fait propos conclusif : " De sorte qu’en somme, pardonnez à mon infatuation, ce que je fais, ce que j’essaie de faire avec mon noeud bo, ça n’est rien moins que la première philosophie qui me paraisse se supporter. "

Notes :

(1) Sur le refus de lier sens et métaphore, voir notamment le texte de haute qualité, mais remarquablement aveugle, de Donald Davidson dans Enquêtes sur la vérité et l’interprétation éd. Jacqueline Chambon p 349-376

(2) Parmi ces " philosophes – écrivains ", citons le Hegel de la Phénoménologie de l’Esprit, Schelling, Kierkegaard – si tant est qu’on puisse le caractériser comme philosophe -, Nietzsche, Bergson, Sartre, Merleau-Ponty. Heidegger est allé au plus loin dans cette direction, en désavouant après Etre et temps toute référence, pour son propre discours, au terme " concept ", et en privilégiant ouvertement la parole, sans pourtant jamais sacrifier la rigueur dans son propos.

(3) Seul Kierkegaard dans sa célèbre formule : " La subjectivité est la vérité " manifeste quelque pré