Conditions et limites de la signifiance
16 janvier 2010

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CHEMAMA Roland
Textes
Freud

 

J’ai donné comme titre à mon exposé : conditions et limites de la signifiance. Évidemment je ne vais pas remplir un tel programme. D’autant que, comme il y a deux autres interventions, je vais essayer d’être un peu plus court que d’ordinaire.

La première fois que je suis intervenu, en octobre, j’avais insisté sur l’opposition entre deux états, ou deux statuts, du rêve. J’avais notamment relevé une idée de Charles Melman selon laquelle « le rêve naturel, spontané, non « pollué » par la psychanalyse c’est un rêve entièrement dégagé du souci d’être déchiffré, d’être entendu ». Ce mode d’être du rêve peut bien entendu persister plus ou moins longtemps après le début de la psychanalyse, en sorte que seule la direction de la cure, bien souvent, va permettre que les choses, peu à peu, vont se présenter autrement, qu’une adresse va apparaître, et sans doute, à travers elle, les conditions de la signifiance.

C’est un peu de ce type de questions que je souhaitais parler, mais en même temps je n’ai pas prévu d’amener tout de suite de nouvelles considérations théoriques. Cette fois ci, même si ce n’est pas dans mes habitudes, je vais commencer par un fragment de cas. Il s’agit d’un homme qui est venu me voir, il y a quelques mois, avec une demande assez spécifique. C’est un scientifique, il réussit très bien dans sa profession, il est marié, a des enfants, une pratique religieuse traditionnelle. Bref tout va bien, à un détail près. C’est qu’au moment où il vient me consulter il en est venu à passer de nombreuses heures sur des sites internet à rechercher et à contempler des images de femmes nues. Plus exactement, il faut tout de même le préciser, des images de sexe féminin.

Il trouve que c’est encombrant dans sa vie, que ça prend trop de place. Ça se présente d’ailleurs totalement clivé de ce qu’il vit dans le lien amoureux et sexuel qu’il a avec sa femme, lien où il ne faut pas s’attendre à trouver une dimension voyeuriste. Mais il se trouve que sa femme, précisément, s’est aperçue de ce qu’il allait chercher sur l’internet. Elle l’a encouragé à aller en parler à quelqu’un, ce à quoi, dit-il, il avait parfois pensé lui-même.

Je précise tout de suite, mais vous l’aurez déjà compris, que cet homme n’est pas un pervers. C’est un obsessionnel. On sait que des sujets obsessionnels peuvent tout à fait avoir des moments, isolés de leur vie ordinaire, où ils ont des pratiques d’apparence perverse, et aujourd’hui, peut être, la facilité de rencontre de l’objet positivé, notamment sur l’internet, ne peut que propager le recours à ces pratiques.

Alors cet homme montre dans le début de son analyse une certaine ouverture au discours inconscient, il raconte en particulier un certain nombre de rêves. Jorge va nous parler de l’oubli du rêve chez l’obsessionnel. Lui c’est un obsessionnel qui se souvient de ses rêves. À propos de ces rêves il associe, il accepte de se laisser surprendre ; pourtant en même temps il faut que l’analyste soit très présent, pour, disons, qu’il ne se satisfasse pas totalement de ce qu’il croit comprendre. Cela d’autant que, assez vite, l’analyse a des effets sur le seul symptôme qui l’a amené à consulter. Il n’éprouve plus le besoin, dit-il, de cette recherche sur l’internet, et il peut même le dire avec humour, puisque bien sûr, chercheur, c’est de toutes façons son métier, et qu’il peut donc chercher autre chose. Donc le symptôme pour lequel il est venu consulter ne se manifeste plus, et du coup cela l’encourage à penser qu’il a compris l’essentiel.

Entre temps, bien sûr, il a été conduit à parler de tout autre chose. Par exemple d’un rapport typiquement obsessionnel à l’autorité paternelle, rapport qui fait qu’il est, sur un certain nombre de points, dans une sorte de procrastination, comme si, par exemple, un certain nombre d’activités sociales ne pouvaient pas être partagées entre les générations. Ce que fait son père, lui-même doit attendre, pour y avoir accès, que son père lui laisse la place. Mais sur les questions nouvelles qui apparaissent dans sa cure il passe généralement assez vite.

Je ne parlerai pas en détail de cette analyse, peut-être un peu trop orientée vers un savoir, vers ce qu’il pense savoir de ce qui peut être déterminant pour un sujet, notamment ce qui a pu déterminer son symptôme. En lecteur occasionnel de Freud il cherche dans ses souvenirs d’enfance, il évoque quelques occasions où il a pu se trouver confronté à une image de nudité féminine. Mais ça ne le mène pas très loin.

Ça ne le mène pas très loin jusqu’au moment ou vont venir à la fois des rêves et des souvenirs qui vont se relier pour lui. Les souvenirs concernent une femme qui s’occupait de lui, ainsi que de son frère et de sa sœur, quand ils étaient enfants. C’était une famille riche, avec cuisinière et gouvernante, et il s’aperçoit que cette gouvernante a du représenter pour lui plus qu’il ne croyait. Par exemple il se souvient d’une jalousie à l’idée qu’elle dormait dans la chambre de sa sœur.

Et alors un jour il a une association qui est plutôt amusante, en tout cas ça le fait sourire. Il se trouve que cette femme se nommait, ou plutôt je suppose était surnommée, Manette (on est plus habitué à Nanette mais c’est Manette). Et alors l’association surprenante, en tout cas ce qui le surprend, c’est qu’il va associer cette femme à un souvenir d’enfance, auquel il n’avait jusque là jamais attaché une grande importance.

Il se revoit jouer tout seul, sans jouet, sans le moindre accessoire. Mais il a des accessoires imaginaires. Il tire, il tourne, il pousse… quoi ? N’était-ce pas, dit-il, quelque manette ? Pourquoi pas ? En tout cas je n’éprouve pas le besoin, le jour où il en parle, de lui en dire quelque chose.

Il se trouve cependant que dans les séances qui ont précédé celle-ci il a eu plusieurs rêves qu’il désigne comme des rêves érotiques. Il y a par exemple des rêves où il y a deux femmes. L’une peut être sa propre femme, la seconde est moins déterminée. Et soit ces femmes se caressent, soit lui-même prend quelque plaisir avec les deux à la fois. Or ces rêves ouvrent pour lui à beaucoup moins d’associations, comme si leur contenu trop évident épuisait leur signifiance. Ou mieux, peut-être, comme si ces rêves risquaient de le figer dans une rencontre avec un réel dont il ne pourrait rien tirer.

Le réel dans le rêve ce peut être la gorge d’Irma, dans l’injection faite à Irma – et le réel pris en ce sens nous y viendrons dans un instant – ça peut être la lettre, mais pourquoi ne serait-ce pas aussi autre chose ? Le réel par exemple d’une « présence » immédiate de ce qui serait désiré, présence qui rendrait inutile, ou impossible, l’interprétation, au sens où nous ne rabattons pas celle-ci sur la signification.

Je pense par exemple aux rêves d’enfants. Freud dit que dans ces rêves la satisfaction est plus directe que dans les rêves de l’adulte. On a refusé à l’enfant de manger trop de cerises. Il va rêver qu’il en mange. Que tirer de ces rêves ou la signifiance, apparemment, s’écrase sur la signification ? Il est vrai que Lacan nous a enseigné à aller un peu plus loin. Il insiste par exemple, dans  Les formations de l’inconscient, sur le rapport que le rêve d’enfant a avec l’interdit, et par là même avec le signifiant. Je cite un passage des  F de ce séminaire : « L’expérience que nous avons des rêves les plus simples de l’enfant n’est pas celle d’une satisfaction toute simple, comme quand il s’agit du besoin de la faim (…) ce dont rêve la petite Anna Freud, c’est justement de ce que l’on a déjà défendu à l’enfant, cerises, fraises, framboise, flan, tout ce qui est déjà entré dans une caractéristique proprement signifiante, pour avoir été interdit »

C’est dire deux choses : d’abord que l’enfant qui rêve qu’il mange des cerises rêve peut-être aussi, par là même, de défier l’interdit ; et ensuite que l’objet, disons l’objet du besoin, du fait de l’interdit, est déjà transformé en signifiant. Angela va demander si nous rêvons de l’objet. En tout cas cet objet particulier, l’objet pris dans la demande à l’Autre et la demande de l’Autre, il vaut assez vite comme signifiant.

Seulement cela ne prouve pas qu’il introduise d’emblée à la dimension de la métaphore, celle qui constitue le rail de la signifiance. Et dès lors les rêves de l’enfant, ou certains de ces rêves, pourraient nous introduire à l’idée d’une satisfaction qui ne serait pas prise, ou moins prise, ou apparemment moins prise, dans la dimension de la métaphore, c’est à dire de ce qui fait, finalement, qu’un signifiant veut toujours dire Autre chose, que le désir est toujours désir d’autre chose.

Eh bien je me demande si, même chez l’adulte, il ne peut pas y avoir des rêves de ce type, des rêves qui, apparemment, viennent se clore sur une satisfaction trop évidente. Est-ce surtout le cas chez le sujet contemporain, si on lui suppose un rapport plus commun à une jouissance immédiate ? Je ne sais pas. En tout cas, encore une fois, chez mon patient, à propos de ces rêves, les associations ne viennent pas.

Là je vous parlais de rêves qui précédaient immédiatement la séance où il a été question de Manette, nom propre et nom commun. Mais il y en a un aussi dans la séance qui suit cette séance-là. Dans ce rêve il y a de nouveau deux femmes. Avec l’une il s’apprête à faire l’amour, mais la seconde femme prend son sexe en main et cela le fait éjaculer. Il y trouve une satisfaction, mais tout de même, l’ensemble est un peu plus rapide qu’il n’aurait voulu.

Et puis il relève, ce jour-là, qu’il aurait du mal à dire quelque chose de ce rêve, ce qui est au moins l’indice qu’il perçoit, là, que ça ne se suffit pas à soi-même. Et alors je lui demande, à propos de cette femme : est-ce que vous diriez qu’elle est aux manettes ? J’aurais pu être plus affirmatif. Dire : oui, elle est aux manettes, mais vous aurez saisi qu’avec ce sujet, qui a un mode de défense très particulier, je suis assez prudent. Enfin… J’aurais même pu l’être davantage.

Cependant ce qui est dit est dit, ça m’est venu comme ça, ça m’est venu trop vite pour que je puisse me demander si ça avait quelque pertinence. Ce qui me rassure un peu c’est qu’il rie. Vous savez que c’est souvent le signe que quelque chose de l’inconscient s’est entrouvert. Et il reconnaît que cela « résume » ( c’est son mot ) bien des choses. En réalité, ce qu’il ne perçoit pas tout à fait, ce qui ne fait que se mi-dire, c’est son rapport à la femme. La femme, d’une façon générale, est pour lui aux commandes. C’est ça une manette : une commande manuelle. Ça il l’entend, mais il ne mesure pas forcément tout de suite à quel point cela éclaire à la fois la fascination incluse dans son symptôme, et le fait que ce soit son épouse qui lui ait prescrit de s’en défaire.

 

*

 

Tout cela pourrait me faire prendre autrement quelque chose que j’essayais de dire lors de nos journées sur le signifiant la lettre et l’objet. Bernard avait fait allusion la dernière fois à mon intervention, qui s’appelait Du grain à moudre ou le travail du rêve. Il y avait fait allusion par rapport au fait qu’à l’époque j’étais parti d’un rêve personnel, un rêve fait au Brésil. Ce qui me paraît plus important c’est qu’à l’époque j’avais dit que si je trouvais très précieux le travail sur le rêve dans notre pratique, c’est parce qu’il me semblait pouvoir introduire plus facilement le sujet à la dimension du signifiant. Disons que certains analysants sont assez peu portés à accepter d’écouter autrement leurs propres signifiants, et qu’ils le deviennent davantage lorsque cette pratique est introduite à partir du rêve, comme si dans le rêve cela pouvait être mieux accepté, et à partir de là étendu à d’autres parties du discours.

Ici vous voyez que ce n’est pas le problème, puisque l’analysant est tout à fait à même d’entendre ce qui se passe à ce niveau. Mais il se pourrait alors que le rêve conserve une valeur particulière, celle de permettre, au delà même de l’attention à tel ou tel signifiant singulier, de supposer une dimension Autre, Autre que celle que constitue une satisfaction apparemment directe. Et de ce point de vue, évidemment l’exemple est très parlant. Parlant par rapport à la question du rapport du sujet à la satisfaction.

Dirons nous que pour le sujet contemporain la satisfaction doit toujours être à portée de main ? J’emploie ici le mot satisfaction. C’est pour prendre le terme le plus général, pour ne pas parler systématiquement de jouissance, d’autant que j’ai eu l’occasion d’avoir une petite discussion avec Charles Melman, à Saint Brieuc, sur notre définition  de la jouissance. Peut-être sera-t-il possible de la reprendre…

En tout cas dirons nous que la satisfaction est à portée de main ? Disons plutôt qu’elle a la haute main sur le sujet. Et là je pense que le terme de jouissance n’est pas évitable. Il l’est tant qu’on reste au niveau de la tentative de maîtrise. Mais il ne l’est plus lorsque c’est la jouissance qui commande. Et donc ce rêve est très parlant quant au fait que la jouissance de l’Autre commande le sujet.

Vous noterez qu’ici je ne parle pas du tout de la jouissance autre au sens de Encore. Je parle plutôt du fait que le sujet, dans son rapport à l’autre, à un autre qui peut aussi bien être imaginarisé, n’est pas seulement dans la dépendance de son désir mais de sa jouissance. Et c’est cela qui va nous amener le plus directement peut-être à la question que va poser Angela : Rêvons nous de l’objet ? Puisque quand la jouissance commande, on peut aussi poser la question de l’objet qui commande.

Je ne sais pas comment Angela va prendre sa question, mais je crois devoir rappeler que d’une certaine façon, l’an dernier, au dernier séminaire

J’avais été dans cette direction, dans la direction de savoir ce qu’il en est de l’objet dans le rêve. C’était à la suite d’une intervention de Christiane sur la « présence réelle », à partir d’une séance du séminaire de Lacan le 26 avril 61. Lacan parle de présence réelle à propos du phallus, et plus précisément à propos du phallus dans son rapport à la question qu’un sujet peut se poser sur son être.

Le phallus, en tant qu’il vient à la place où la réponse manque, ne représente pas une réponse. D’ailleurs il ne représente rien. Il présente, ou il présentifie, le point d’achoppement de tout discours, le point où la question ne trouve pas de réponse. Or ce point là, Lacan a tenté de l’aborder de plusieurs façons différentes, et j’en étais venu à évoquer ce qu’il désigne, dans le séminaire 2, à propos de la gorge d’Irma, comme « L’objet essentiel qui n’est plus un objet, mais  ce quelque chose devant quoi tous les mots s’arrêtent ». Ici il ne s’agit évidemment pas du phallus, c’est un réel qui peut nous évoquer l’objet a, mais évidemment il faut bien relever qu’à l’époque du séminaire 2 Lacan n’a pas encore introduit cet objet.

Et la question ce serait donc celle-ci : est-ce qu’il y a dans le rêve quelque chose dont nous devons bien relever l’existence, et cela avant même de savoir le nommer, avant même de lui donner une place dans notre théorie. C’est à dire que non seulement cet objet n’est pas nommable pour le sujet, mais qu’il ne va pas de soi de nommer, dans notre théorie, ce dont il relève. Et d’ailleurs a, vous le savez, c’est à peine un nom. C’est une lettre, un symbole algébrique.

En tout cas, ce qu’il me semble c’est  qu’entre 1° le phallus comme présence réelle ; 2° Le réel tel que Lacan en parle dans le séminaire II à propos du rêve de l’injection d’Irma ; et 3° ce qui sera l’objet a, il y a une sorte de continuité, continuité qu’on peut sans doute aborder à partir du rêve, et de ce qui, dans le rêve, résiste à la signifiance. Mais on peut sans doute alors ajouter quelque chose. Ne nous pressons pas trop d’imaginariser le réel qui serait ainsi hors signifiance. Ce n’est pas parce que, dans le rêve de l’injection d’Irma, cela vient sous la forme d’eschares au fond de la gorge, que nous devons tout rabattre sur ce type de représentation – qui sont d’ailleurs aux limites du représentable. On pourrait ici évoquer aussi bien la lettre, qui nous éloigne de ce type d’imaginarisation, et qui en même temps, ne peut pas toujours être significantisée.

Puisque je parle de la lettre, sans d’ailleurs prétendre en dire l’essentiel (nous aurons d’autres moments pour en parler ), je veux ajouter là deux remarques. La première c’est que, nous le savons, la lettre ça peut être très éloigné de la lettre alphabétique. Dans Du grain à moudre, parce que je rapportais un rêve où l’analysant, moi-même donc, était confronté à un homme assez impressionnant, une figure paternelle qui agitait des feuilles en papier, et parce que le rêve soulignait que ces feuilles étaient d’un format carré, j’avais pu reprendre un passage du séminaire Encore, un passage où Lacan affirme, très explicitement, qu’il ne réduit pas ce qu’il appelle lettre à la lettre alphabétique. Et Il donne l’exemple de quelque chose qui pour lui vaut comme une lettre, un signe logique que Nicolas Bourbaki met au début de sa Théorie des ensembles. Ce signe c’est un petit carré, et ce carré désigne la fonction place.

Et j’avais alors pu me dire, aussi bien pour mon propre rêve que pour des rêves que des analysants me rapportent, que des signes de ce type apparaissent souvent, des rêves avec des figures géométriques, des pièces de bâtiments d’habitation, mais dont le rêveur précise la forme géométrique, comme s’il avait besoin de mettre en place l’espace où le discours du rêve pouvait être articulé. Et je dirai que c’est presque un préalable, logique sinon chronologique.

Et puis je voudrais aussi citer quelque chose qui peut paraître très différent, mais que pour ma part je rapproche de la présentation de l’espace du rêve. C’est, disons, la présentation du matériel du rêve. Comme s’il y avait des rêves qui se contentent de donner en quelque sorte l’alphabet à partir duquel il pourrait y avoir signifiance, sans pour autant qu’il y ait nécessairement, disons, une intention inconsciente de signifiance.

Dans le début de la Traumdeutung, vous le savez, Freud consacre un chapitre à la littérature sur le rêve, à ce qu’on écrit, sur le rêve, d’autres auteurs. Et j’ai toujours été frappé par un sous-chapitre intitulé « le matériel du rêve. la mémoire dans le rêve », parce qu’il donne en quelque sorte accès à un matériel non encore élaboré, mais d’autant plus probant. Freud emprunte notamment un exemple à Joseph Delboeuf, professeur de psychologie à Liège et auteur d’un ouvrage datant de 1885 sur Le sommeil et les rêves.

Et donc cet exemple savoureux, de Delboeuf qui, en rêve, recueille deux petits lézards transis par le froid, les réchauffe, les remet dans un trou du mur. Il ajoute dans ce trou quelques feuilles d’une petite fougère, une fougère qu’aiment ces lézards, et dans son rêve il sait que la plante s’appelle Asplenium ruta muralis. Or dans la réalité il connaît le nom latin de très peu de plantes, et pas celui-ci. Par ailleurs il s’aperçoit qu’il existe bien une fougère, dont le rêve a un peu transformé le nom, puisqu’en réalité elle s’appelle Asplenium ruta muraria, mais enfin c’est très proche, et il se demande vraiment d’où lui venait, dans son sommeil, ce nom presque exact.

Ceux qui connaissent bien la Traumdeutung connaissaient sans doute ce passage et connaissent aussi la suite, à savoir que 16 ans après ce rêve, qu’il avait fait en 1862, Delboeuf, en visite chez un ami, découvre un herbier qui lui rappelle quelque chose. Il l’ouvre, il y retrouve l’asplenium de son rêve et s’aperçoit que c’était lui qui avait écrit le nom latin. Ce n’est qu’alors qu’il se souvient qu’en 1860, deux ans avant le rêve, une sœur de cet ami, en voyage de noces, lui avait rendu visite. Elle avait avec elle cet album destiné à son frère, et Delboeuf avait pris la peine d’écrire, sous la dictée d’un botaniste, tous les noms des plantes sèches en latin, ce qu’il avait ensuite oublié.

Alors je dois dire que de tels exemples, je trouve que c’est très bien qu’ils figurent au début de la Traumdeutung, parce qu’avant même de questionner la signifiance des rêves, il est bon de s’assurer que la mémoire du rêve n’est pas celle de la vie diurne, et qu’elle peut donc fournir un matériel nouveau à partir duquel, s’il y a lieu, le travail de lecture peut se faire.

Et donc, pour rassembler tout ce dont j’ai voulu parler ce matin, ma question c’est au fond celle du mouvement de cette lecture, qui part de ce qui pourrait apparaître comme de simples traces asémantiques, mais qui permet aussi l’ouverture d’une signifiance, non sans comporter le risque de voir celle-ci se refermer. Se refermer sous les diverses formes que peuvent constituer, par exemple, une satisfaction qui se clôt sur elle même, mais aussi l’objet devant lequel tous les mots s’arrêtent.

DISCUSSION[1]

Roland Chemama : Qu’est-ce que tu voulais dire par exemple Jorge sur le Deux ?

Jorge Cacho : Ah le Deux ! Si j’ai bien compris, tu parlais de la question de la fermeture, c’est-à-dire que ça empêchait l’élaboration dans le rêve ; alors j’ai pensé, puisque c’était un obsessionnel, comment une,… parce que c’était deux femmes, comment une annule l’autre,  au sens opposé, des mots opposés  n’est-ce pas ? Et de satisfaction, dans le cas que tu évoquais, opposée? Est-ce que c’est cette opposition, comme mécanisme, comme logique propre à la névrose obsessionnelle, qui fait que ça devient asémantique.

R. CH. : Oui absolument, elle est très intéressante ta remarque. Un analyste freudien penserait : voilà, il y a deux femmes et puis à ce moment-là il est en train de parler de sa situation d’enfance où il y a sa mère et cette gouvernante, mais évidement  quoique ça serait très réducteur et ça me parait  intéressant ce que tu dis, c’était d’une certaine manière, non pas aussi thématisé, mais un peu présent dans ce que je disais à travers l’idée que l’une le précipite en quelque sorte dans une jouissance trop rapide, et donc d’une certaine manière vient clore quelque chose. Mais c’est vrai qu’il y a ça. Curieusement alors qu’on pourrait imaginer qu’il y a un plus de jouissance mais elle opère une soustraction  de jouissance. Et alors ça renvoie à l’annulation dans la névrose obsessionnelle. Merci.

J.C. : Non, c’est la manière dont tu as présenté qui m’a permis…

Christiane Lacôte : J’ai beaucoup de questions, mais peut-être que Bernard …

Bernard Vandermersch : Non, non, non…

R. CH. : On n’a pas d’ordre défini…

Ch. L. : J’ai beaucoup de questions. L’une qui est générale à notre recherche mais qui tu as posée d’emblée. Cette question est corrélative à la position de l’adresse dans le rêve et à la manière dont s’oriente l’interprétation des  rêves selon l’analyste et selon la théorie de l’inconscient de l’analyste,  c’est la question importante de la suggestion dans la cure. C’est-à-dire que là, c’est une question que Lacan va souvent  poser et jusqu’à son séminaire Le Moment de Conclure : quelle est la place de la suggestion ?…

R. CH. : Il n’exclut pas d’ailleurs…

Ch. L. : Il la pose de différentes manières ; il la pose dans les années 58/60 et puis c’est une question qui reviendra toujours et que je souhaite qu’on prenne à bras le corps à un moment de notre séminaire.

Le deuxième point, qui  reprend aussi la remarque de Jorge à propos de Manette(s,) concerne une distinction qui me semble importante. Dans ce cas, me semble-t-il, il ne s’agit pas de métaphore, mais de double sens. Il y a d’un côté le nom et de l’autre côté le sens, celui de ce qui permet de manier, de commander. Il n’y a pas de décomposition de syllabe – après tout il aurait pu y avoir quelque chose, un jeu sur le possessif de main – mais le mot reste entier et il s’agit de double sens. Et cela c’est aussi un aspect très typique de la névrose obsessionnelle d’ailleurs, qui est intéressant.

Quant aux questions que tu posais à propos du rêve d’enfant : tu reprenais d’ailleurs les rêves de Freud. Sur ce point, j’aime beaucoup la remarque de Lacan qui montre qu’il ne s’agit pas d’un rapport à la faim, mais d’un rapport à l’interdiction ; mais surtout  Lacan, en jouant sur le jeu des mots inter-dit, indique que c’est pris dans le discours .

Mais les petits enfants ne rêvent pas seulement de cerises, de fraises ou de flans, ils rêvent en particulier de monstres. Et même les tout-petits rêvent de monstres. Mon plus petit patient a deux ans et demi et me dit : « il y avait un truc » ; les enfants nous disent beaucoup : « on a des cauchemars » et ils se rappellent davantage les cauchemars que les rêves. Alors qu’est-ce que cela veut dire ?  – Sans doute qu’il y a une grande jouissance à rêver de monstres. Il y en a même qui rêvent aussi, un peu plus âgés, de Peter Pan : mais là, il s’agit d’une adulte qui me parle d’un rêve d’enfant, parce que Peter Pan maintenant est démodé, même les Pokémons sont démodés. Alors qu’est-ce que cela veut dire les monstres ? C’est quelque chose qui touche  à la constitution de la  métaphore ; songez à la phobie. Cela veut dire qu’un enfant rêve, à mon avis, de façon beaucoup plus complexe qu’on ne le dit  et se retrouve face à la question de la radicalité du rapport au langage, et c’est pour cela, et non pour l’insolite des oripeaux imaginaires, que c’est du cauchemar. C’est-à-dire qu’il y a quelque chose de l’ordre du débat entre le Symbolique et le Réel qui est là véritablement cauchemardesque. J’insisterai sur la complexité du rêve de l’enfant et la nécessité dans l’analyse d’enfant, enfin à mon avis, de ne pas y pas toucher, mais de dire un simple « Ah c’est intéressant ! », de ne pas y toucher et de ne jamais précipiter un sens là où il est en pleine gestation et en plein risque , mais enfin cela ne fait qu’insister sur  la rigueur nécessaire dans l’analyse d’enfant par rapport à l’analyse d’adulte où on peut se tromper, se permettre quelquefois des glissades, pour reprendre des termes d’André Breton par exemple sur ces questions.

Luce MonnierSur ce point de ne pas y toucher, c’est exactement comme ça, ce que j’ai pu observer  avec tous les enfants, si on essaie d’y toucher ça tombe toujours vraiment à plat.

Ch. L. – Oui mais quelquefois cela peut faire des dégâts aussi.

L. Monnier : … et en plus ça crée une angoisse….je ne touche jamais à rien et ça marche très bien comme ça.

Ch. L. – Tout à fait ; il s’agit seulement de relever le rêve, qui d’ailleurs quand il nous est rapporté, nous est adressé. Le petit garçon de deux ans et demi qui me parlait de monstre avec une volupté particulière d’ailleurs, s’est adressé à moi, le monstre ; je veux dire aussi qu’il y a quelque chose de nettement transférentiel là dedans…Mais ce que je voulais dire et cela va permettre de reposer des questions à Angela : rêver de monstre, c’est rêver de l’objet, de la présence réelle du phallus ou du début de la métaphore ? Parce que la métaphore c’est toujours monstrueux ; songez par exemple à la chimère, cela rapproche des éléments très lointains. Alors, reprenant les textes de Lacan à propos du phallus, effectivement on pourrait se demander si le Réel du rêve, n’est pas toujours, comme on disait à propos de l’ombilic du rêve, la question de la présence réelle du phallus, mais mise en question.  J’ai beaucoup aimé ce qui tu as dit sur la fonction place, je crois que ça pourrait nous indiquer une méthode pour intervenir. Comme vous disiez, c’est quand nous sommes en analyse d’enfant, le seul recours qui nous ayons, c’est de dire il y a quelque chose là d’important : est-ce que c’est de l’espace, est-ce que c’est du temps ?  C’est une question. La dernière chose que je voulais dire là-dessus, c’est que tu m’as éclairé une question qui faisait débat entre nous, Roland, c’est-à-dire le fait que Lacan ait très peu analysé les rêves : il les laissait se dire et puis, basta, le discours continuait. Il n’attachait pas une importance privilégiée aux rêves. Je trouve que cela pourrait se comprendre, par rapport au risque ou à la nécessité que ça se referme sur une signifiance, une manière d’éviter cela…

R. CH …sur une signification…

Ch. L. …Et je trouve qu’il incluait ainsi le rêve dans le discours. C’est-à-dire que c’était aussi une manière de ne pas le refermer sur une signifiance. Voilà…

R. CH. Sur une signification… Je préfère…

Ch. L. Sur une signification oui, signifiance  ne me semble pas d’emblée un terme lacanien.

R. CH. En tout cas on a décidé de traduire ainsi le terme Traumdeutung 

Interv : Qu’est-ce qui n’est pas un terme lacanien ?

Ch. L. signifiance.

Interv : Il l’utilise…mais pas beaucoup…

Ch. L. Alors je me trompe sans doute !

R. Ch. Je vais essayer de dire quelque chose à Christiane. Faire usage du rêve, évidemment. De toute manière le rêve, quand j’ai dit que nous le prenons à partir – je dirais volontiers – de la pointe signifiante, on ne s’est pas forcé de l’introduire au moment du récit du rêve ; mais parfois tel signifiant que nous reprenons, le sujet entend bien qu’il est repris de tel ou tel élément de son rêve, et donc ça produit des effets effectivement de signifiance, alors là, c’est plutôt dire quelque chose à propos d’un rêve qui est repris d’ailleurs, c’est comme ça…quand Lacan dit que l’interprétation c’est citation, notre question est sur les conditions de la citation, les formes de la citation. Christiane alors, il y beaucoup de choses qui restent au fil des années un peu différentes dans notre approche. Pour ma part, j’accorde moins d’importance que toi à la différence entre un abord du signifiant qui par exemple joue sur sa décomposition, et un abord qui joue sur ce que tu appelles, et pourquoi pas, le double sens. Je pense qu’il y déjà là un élément, qui est un travail où on sent bien que l’inconscient est mobilisé – peut-être, il faudra en discuter – d’une manière plus spécifique à l’obsessionnel. Pour ma part, là où je trouve que Lacan a amené les choses les plus intéressantes sur notre usage du signifiant c’est dans Encore, encore une fois ; je n’ai plus le passage exact en tête, mais beaucoup d’entre vous travaillent régulièrement la préparation du Séminaire Encore, un passage où il parle du signifiant qui, comment il dit ça ? c’est là où il parle de ce…qui se distribue, ce n’est pas le terme, de la locution au proverbe. Comment c’est… ?

La salle : S’éventaille.

R. Ch. S’éventaille !  (J’ai oublié l’éventail. Je vais faire une association, j’ai des problèmes avec l’éventail sur mon ordinateur, vous savez, celui qui marque la connexion.)

… De ce qui s’éventaille de la locution au proverbe ; et effectivement, il me semble, il nous indique bien par-là que notre usage du signifiant c’est souvent justement de reprendre le signifiant, mais dans par exemple une expression toute faite. Mais pourquoi ? Parce qu’elle indique la façon dont le sujet peut être pris dans la langue en quelque sorte.  Dire elle est aux manettes, effectivement je transforme, je le mets au pluriel, mais surtout j’en fais une locution figée qui curieusement – j’avais  écrit un texte là-dessus, un texte qui s’appelle L’interprétation – qui curieusement, alors que ça fait usage de locution figée, ouvre, au contraire ! Et par exemple, citer un proverbe à propos d’un mot, apparemment c’est ce qu’il y a de plus bête, le proverbe c’est la bêtise des nations,  mais en même temps ça a des effets. Pour l’enfant, je confesse que j’ai été très rapide ; d’ailleurs, je ne parlais pas des rêves d’enfant en général mais de ce type de rêve et de la façon dont Freud les considérait. Mais néanmoins, dans ce que tu dis par exemple des monstres, tu le dis peut-être un peu vite ; tu pourras t’expliquer un peu plus, qu’on voie a travers ces rêves la radicalité du rapport au langage ; qu’est-ce que tu veux dire par là, avant que je te réponde…

Ch. L. Oh ! des choses que j’ai souvent dites…

R. Ch. : Tu peux les redire…même moi je ne m’en souviens pas aussi bien.

Ch. L. : La phobie par exemple, quand il en parle dans La relation d’objet et pas seulement dans Les formations de l’inconscient, il parle de la relation entre le Symbolique et le Réel. De la façon dont le Symbolique va ou non – je prends un terme qui est très proche de la phobie – apprivoiser le Réel, et on apprivoise une bête sauvage, vous voyez. D’autre part je disais aussi que le monstre est en général un être composite qui renvoie aussi à ce qu’il y a d’éloigné dans le rapprochement, ce qui est le moteur de la métaphore. Pour tes manettes, par exemple, tu vois la différence : au lieu du double sens, on pourrait penser que pour un obsessionnel les mânes, c’est-à-dire, les esprits des morts, les ancêtres, auraient été très importants par exemple…

R. Ch. : Ce n’était pas le cas là…

Ch. L. : Je veux dire que ça c’est une manière de creuser les signifiants différemment, d’ailleurs ce qui les creuse dans la métaphore, c’est le processus de substitution.

R. Ch. : J’entends bien, j’entends bien…Juste une chose Christiane, est-ce que tu ne dirais pas, quand tu parles de radicalité du rapport au langage…

Ch. L. : Mais c’est ça…C’est le rapport, et toute la question autour de l’Imaginaire qui permet, ou pas, comme Lacan le dit à propos du Petit Hans, par les répétitions du jeu, J.E.U., de faire que quelque chose se mette en série et donc devienne Symbolique.

R. Ch. : Je vais laisser Pascale, parce que je ne suis pas sûr d’avoir une réponse aujourd’hui…

Ch. L. : On en reparlera certainement !

P. B.-F.  Je voudrais te poser quelques questions. Finalement quand on écoute une névrose obsessionnelle, l’analyste peut-être vraiment entraîné dans cette jouissance incroyable, en commun avec l’analysant ; il me semble donc important de poser quel est pour nous l’enjeu d’une analyse pour un obsessionnel. Je dirais que pour moi elle est topologique en quelque sorte. Est-ce que c’est le mettre devant le moment où les signifiants vont s’arrêter dans leur signifiance ? Pour ma part je ne le pense pas, je ne vois pas les choses comme ça ; mais au contraire, dans l’ouverture en permanence du signifiant, l’amener à peut-être ne plus être dans le double, la duplicité et le sens, mais effectivement peut-être déterminer quelque chose peut-être du Un et la nécessité de s’engager dans le fantasme en quelque sorte. C’est pour ça qu’on ne peut pas dire, manne, mannette comme ça, il faut bien avoir entendu que on y va vers la constitution d’effectivement quelque chose qui l’impliquerait dans son fantasme à un moment donné. Et c’est pour ça que par exemple, on est très ennuyé de prendre le rêve en général, parce que il me semble que quand on est avec une hystérique, on n’est pas du tout positionné de la même manière dans l’écoute : il ne s’agit pas de recouper les signifiants parce qu’il ont déjà été coupés et mais d’arriver à une autre coupure, pour l’hystérique. Donc je veux dire que pour ma part je crois qu’il faut peut-être aborder la question du rêve dans l’idée que nous avons de l’enjeu d’une analyse qui est habituellement topologique, il me semble, pour les structures lacaniennes.

R. Ch. : Pascale…

P. B.-F. : Je te pose la question, si tu veux : est-ce que pour toi l’enjeu, et pour lui, c’est d’arriver à ce point où les signifiants seraient sans sens, s’arrêteraient en quelque sorte ; la question d’Irma du point, là, de Réel, je n’ai pas l’impression que ce soit ça l’enjeu vraiment pour un obsessionnel qui …en profite beaucoup.

R. Ch. : Je te remercie parce que là tu confirmes ce que je disais au début : le travail, la réflexion sur le rêve permet de nous demander radicalement quelle est notre conception de la cure, et comment nous intervenons à partir d’une conception qui n’est pas forcément bien thématisée au moment où nous intervenons, et que nous ne rappelons pas forcément à nous sinon par une espèce de mémoire inconsciente dans notre travail d’analyste. Ce que j’ai décrit de ce doublement, mouvement d’ouverture de la signifiance, d’ouverture à partir d’un matériel apparemment asémantique, d’ouverture de la signifiance et à un moment donné, effectivement du fait que nous ne pouvons pas éviter qu’elle vienne nous faire rencontrer un objet sur lequel il n’y a pas de mot, ça ne définit pas le point de l’arrivée nécessairement, ou ce qui est essentiel dans la cure d’un obsessionnel, si c’est ce que tu nous poses comme question. Ce qui me paraît plus important…

P. B.-F. : Non, c’est le positionnement de l’analyste (…) parce que nous avons une idée, c’est peut-être ça la direction de la cure pour la  névrose obsessionnelle, comme Lacan nous en a parlé dans l’hystérie, sur Dora un petit peu plus ; et là effectivement, qu’est-ce qui nous mène à pouvoir ouvrir (…) je veux dire à ne pas être entraîné dans une jouissance  du signifiant, du redoublement…

R. Ch.: Oui, le signifiant bien sûr, on ne sait jamais, c’est tellement la façon dont nous sommes inclus tous les jours, évidemment la question de notre jouissance peut se poser là, et d’ailleurs c’est une question que nous posons depuis relativement, peu de temps. J’ai été amené à dire qu’on a pu l’ouvrir, cette question à partir de ce numéro de la Revue Lacanienne, où j’ai donné un article, où d’autres ont donné des articles tout à fait intéressants, mais qui n’est pas une question simple. Je la laisse un petit peu de côté. Ce qui rétroactivement m’apparaît dans cette intervention, par exemple, c’est peut-être un appel à dégager une dimension qui a à  voir avec le fantasme et qui a à voir avec ce qui est inclus dans son rapport à la femme, à savoir ce qui le regarde à partir de la femme. Puisque évidemment quand il regarde sur Internet, c’est ce qu’il voit qui le regarde lui, et donc je pense que ce type d’intervention c’était une façon de relier quelque chose qui venait apparemment simplement comme des souvenirs, etc., etc., des jeux d’enfant pourquoi pas, et comme il dit, ça résume, c’est-à-dire ça amène quelque chose d’une question essentielle. La seule question que je me pose pour cette analyse c’est que, c’est des questions sur … comment dire? le temps aujourd’hui, le temps dans le maniement du transfert, le temps dans l’interprétation, avec des sujets pour qui on est amené peut-être plus vite à intervenir, parce que les choses ne reviendront pas exactement, parce qu’ils sont tentés d’interrompre avant d’avoir compris, parce qu’ils comprennent trop vite, ils sont dans un autre type de pensée. Et la seule chose que je peux me poser à propos de cette intervention c’est : est-ce que j’étais obligé ou non de la faire à ce moment-là ? Il me semble que même si c’était un peu dans la précipitation il fallait quand même la faire. Voilà, chacun d’entre vous aurait procédé autrement. Nous prenons tous des risques lorsque que nous intervenons, dès que nous parlons nous orientons les choses autrement. Christiane a rapporté, c’était à propos d’Abraham, qui interprète un rêve à une patiente, et le jour suivant elle lui apporte quatre rêves ; il y a quelque chose qui a été induit, et ça y est, ça s’ouvre. Vous vous rendez compte de la responsabilité qu’on a, nous? Quand on dit que l’analyste est inclus dans le concept de l’inconscient… mesurons-le!

Valentin Nusinovici : Roland, est-ce que tu peux préciser ce que tu entends par limite de la signifiance? Parce que, à la fois tu as dit que la signification n’était pas la signifiance, mais parfois j’ai eu l’impression que quand tu dis Le rêve résiste à la signifiance, j’aurais bien substitué, là, dans cette phrase : Le rêve résiste à la signification et pas à la signifiance à cet endroit-là. Faut sûrement les opposer. Qu’est-ce que ce serait, une limite de la signifiance?

R. Ch. : C’est simplement le moment où quelque chose empêche que le texte du rêve puisse être entendu autrement. Pour des tas de raisons différentes. C’est vrai que je n’en ai pas fait la théorie ; mais d’abord je pense qu’il y a des raisons de nature même du rêve en quelque sorte. C’est-à-dire, dans le rêve nous ne pouvons pas, je crois, et c’est pour ça que j’amené la question de la place, c’est pour ça que j’amené la question du matériel, nous ne pouvons pas penser que tout est à prendre au niveau d’une signifiance de la même façon. Nous ne pouvons pas…

V. N. : Quelle différence alors avec signification dans cet emploi-là? La signification va de signifiant en signifiant elle ne désigne pas un objet !

R. Ch. : Oui j’exagère un peu, mais quand même dans l’idée de signification il y a… quand Lacan par exemple dans l’un de ses Séminaires parle de l’effet de sens, voila je mets la signifiance du côté de l’effet de sens.

V. N.: Là je te suivrais plus…

V. N. : Dans Encore, il dit : La signifiance c’est ce qui a effet de signifié …c’est à dire, dans le contexte d’Encore, ce qui ferait franchir la barre, qui forcément doit laisser un résidu ; la barre, elle est limitée par définition. Et ce qui la commande, la fonction de signifiance, c’est le Réel, c’est le Réel qui commande la fonction de signifiance. … Alors c’est pour ça, je ne comprenais pas bien. La signifiance c’est peut-être le moment justement le plus fondamental qui soit si on a l’impression qu’on a une limite…

R. Ch.: Le moment le plus fondamental, c’est… ?

V. N.: Cette limite-là, je n’ai pas l’impression que la question soit tellement de la développer au niveau de nouveaux signifiants, mais plutôt de la marquer en tant qu’elle est limite à ce moment-là.

R. Ch. Pour cette limite là c’est vrai, mais j’ai parlé de plusieurs limites à la fois…

V. N. : Est-ce que dans le rêve, là où tu parles de satisfaction, est-ce que cette satisfaction trop courte n’est pas la couverture de l’angoisse la plus radicale qui est là, n’est-ce pas ?

R. Ch. : Je ne l’ai pas dit, mais je ne le conteste pas…

V. N. : Justement, je pense aussi que le double sens n’aide pas à faire valoir, à faire valoir cette limite…

R. Ch. : Cette limite que constitue l’angoisse… ?

V. N. : Cette angoisse …

R. Ch. : Ca interroge, ça interroge quand même ce dont procède le rapport…parce que l’angoisse qu’est-ce que c’est ? C’est ce qui se manifeste quand le sujet se rapproche de ceci, c’est-à-dire de l’objet. La façon dont Lacan amène l’angoisse comme n’étant pas sans objet marque bien les choses de ce côté-là et d’une certaine manière, si cette intervention n’est pas trop mauvaise, elle oriente vers la dimension de l’objet en tant qu’il commande pour le sujet. Et dans des conditions telles que ça le fait rire, c’est-à-dire voilà, qui est de notre travail, lorsque nous pouvons faire entendre quelque chose qui provoque l’angoisse dans ce travail sur le signifiant qui en même temps allège ce qui se passe de ce côté-là, je crois que c’est un peu notre travail…

P. B.-F. : C’est peut-être intéressant de suivre ce qu’avait fait Freud là, c’est la question du réveil…c’est justement là, ce point où effectivement ça ne peut plus continuer, et on est sur la question de l’angoisse.

R. Ch. : Bernard…

Bernard Vandermersch : Moi je m’interroge sur la question de ce que fait rire un peu justement. Parce que…est-ce que c’est un bon signe ? Parce que c’est vrai que le rire repose à la fois sur le fait d’éveiller quelque chose d’essentiel, justement le point d’angoisse du sujet, et en même temps en l’évitant. Tu dis toi-même il (…) mi-ouït à cet endroit-là. Et si je comprends bien ce qui tu dis, Valentin, est-ce que c’est bien là, à ce moment-là la bonne façon de marquer la limite de la signifiance ?

V. N. : Parce que à mon avis ils disent oui tous les deux. C’est-à-dire on a deux hommes…

B. V. : Qui se mettent d’accord pour échapper un peu à ce point d’angoisse. Il y a une autre difficulté : parce que celui qui donne, qui avoue une interprétation, évidement s’expose mais justement le elle est à la manette, elle est aux manettes il y a évidemment un effet de signification aussi, où dans le fond ça me conforte : elle est aux manettes. C’est-à-dire que pour le sujet obsessionnel il y a un risque justement d’être conforté dans ce fantasme qu’elle elle est aux manettes enfin…

R. Ch. : Mais c’est pas conforté. Pour le sujet c’est pas du tout évident à ce moment-là. On fait comme si d’une part l’angoisse était perceptible, et d’autre part comme si le fantasme était déjà… Alors que d’une certaine manière c’est l’intervention qui a un effet de sens et qui produit la signification parce que être aux manettes ce n’est pas exactement la même chose, même que la manette l’instrument. C’est cette intervention qui fait qu’il introduit un petit peu à ce sens nouveau qui est que cette femme, il est dans une drôle de position par rapport à elle. C’est pas lui qui manie la manette !

B. V. : Justement ce qui est embêtant, c’est que c’est l’obsessionnel, lui en tant que sujet, qui n’est pas pour rien, de réintroduire la dimension de sa jouissance à lui et de ce qui…C’est vraiment très difficile, c’est-à-dire c’est une cure qui marche à fond le ballon, il n’y a  pas de problème. C’est pas le problème. Mais c’est quand même comment intervenir de telle façon que… la limite de la signifiance c’est l’objet petit a. Je veux dire que la limite de la signifiance est l’incidence du Réel, la coupure entre ce qui serait… et ce n’est pas un Réel d’avant la symbolisation, c’est le Réel qui est produit par la symbolisation, et où vient se mettre cet objet qui est en même temps…je ne sais pas trop comment dire mais c’est l’objet pulsionnel qui est là. Et la difficulté c’est comment faire entendre chez ce sujet son voyeurisme qui était déjà là dès le départ.

R. Ch. : Le voyeurisme il faut qu’il l’entende autrement ; non pas comme son envie de regarder mais comme son rapport à ce qui le regarde et donc aussi bien par là à ce qui a prise sur lui et donc à ce qui manipule lui.

B. V. : Oui mais on voit bien que l’obsessionnel c’était un manipulé, je veux dire, c’est un manipulé…

R. Ch. : Plus qu’un autre c’est un être regardé !

V. N. : Il regarde avec ses menottes.

R. Ch. : Il regarde avec ses menottes, sûrement ! Ca je vais pas lui pas poser la question. C’est  (… ) devant l’ordinateur.

Ch. L. : Ce que tu disais Bernard, me semble très intéressant : ce n’est pas le Réel d’avant la symbolisation, s’il existe, parce que ce serait mythique, mais le réel, j’allais dire touché à la limite de la symbolisation, et qui en fait le poids. Effectivement tout le problème est du parcours entre ce réel mythique et le réel qu’on trouve à la limite du signifiant.

R. Ch. : Claude Lecoq voudrait dire quelque chose…

Ch. L. : J’ai l’impression que ça se complique et en même temps c’est de plus en plus approfondi, ce travail que nous faisons. C’est que on en arrive à défendre des positions affirmées, et à tenter d’affirmer des positions beaucoup plus larges que sur la question du rêve de nos patients, qui est : de quel endroit, à quel endroit sommes-nous, pour nous être autorisé à entendre des gens qui parlent, et qui parle à partir de la lettre pour chacun, de leur écrit qui fonctionne avec la parole mais qui n’est pas de la parole. De cet écrit qui a à voir avec le Réel et qui donc, peut-être que au fond, c’est un peu ce dont je voudrais vous parler la prochaine fois, qui fait qu’on aurait à entendre, enfin, en tout cas pour moi la lettre qui peut être telle que  inscrite dans un rêve par un patient, une lettre, mais qui ferait entendre que chaque rêve est une lettre. C’est-à-dire qu’on est tout le temps  dans la question du contact avec ce point-là où il va en arriver, le mythe, à l’incidence du Réel pour lui, si nous sommes là, nous, quand on l’entend, c’est-à-dire que ce n’est pas le signifiant qui est en jeu. C’est cela que j’aimerais préciser à propos du rêve sur la lettre d’une patiente, mais je crois qu’il y a la question de l’écrit sous la parole, l’écrit qui est là pour le patient bien avant qu’il ne vienne nous voir, qu’il appellera son destin,…mais ce qu’il va nommer a à voir avec ce point où il va arriver et c’est pour ça que je ne dirai jamais que la lettre est première, je dirai presque qu’elle est avant-dernière. J’essaierai d’être un peu plus explicite la prochaine fois, mais c’est