Séparation
03 octobre 2012

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CHASSAING Jean-Louis
Notes de lecture

Nicole Malinconi

Éditions LLL Les liens qui libèrent, 2012

Jean-Louis Chassaing

Qui est cette femme ?

 

« … Nicole Malinconi s’inspire de la réalité quotidienne, de l’ordinaire de la vie, des gens et des mots, ceci aboutissant moins à des fictions romanesques qu’à ce qu’elle qualifie elle-même d’ « écriture du réel » ».

Ainsi s’écrit, selon l’éditeur, le genre si l’on veut de ce livre.

Cela nous arrange en effet car c’est un livre courageux. Tranquillement courageux, même s’il existe des tensions, des réitérations réflexives au sujet de la psychanalyse de la narratrice. L’analyse ou les analyses ? Séparations ou séparation ? L’auteur a opté pour le singulier, lui donnant valeur de structure car, des séparations plurielles, il y a. Valeur de structure mais La séparation se découvre rapidement dans le livre, séparation essentielle, matrice faut-il le préciser des autres séparations de la vie. Séparation qui, elle, cet « Elle » si présent, relève des difficultés de rapport entre mère et fille, entre femme et femme. Femme justement, sera la dernière psychanalyste.

La narratrice évoque son parcours, ses parcours – encore singulier pluriel – avec trois psychanalystes, successivement, en des temps différents. Ces temps différents posent cette question : le troisième temps est-il si indépendant que cela du second, et celui-ci du premier ? Les réponses de chacun des psychanalystes diffèrent, c’est là un thème du livre, mais chacun n’a-t-il pas donné de son temps, de son adresse, et la narratrice, qui distingue à juste titre chacune des analyses de son parcours, n’a-t-elle pas bénéficié de chaque adresse ? Car La dernière, une femme, il est clair dans le livre qu’elle a dénoué l’ « affaire » de par sa « présence ». Présence de l’analyste. Cette présence, Lacan en a parlé. Dès le séminaire I sur les Écrits techniques de Freud (1953/54). Quelques vingt ans plus tard dans le séminaire Ou pire il parle – Leçon du 21 juin 1972 – de la mise en jeu du corps de l’analyste au cours des premiers entretiens préliminaires : il y est en effet érigé comme condition de l’acte analytique, et comme ce qui n’interfère plus par la suite. Et dans le séminaire de 1964 sur Les concepts fondamentaux de la psychanalyse Lacan, rappelant la dimension transférentielle, ne sépare pas le concept de l’inconscient de la présence de l’analyste. « La présence de l’analyste est elle-même une manifestation de l’inconscient » C’est ici dans le battement pulsionnel que cette présence accède si l’on peut dire à une perte, le seul « gain » étant la fonction de cette perte, soit l’objet « a ».    Présence et séparation !

Toutefois le terme de présence n’est pas évoqué si explicitement dans le livre de Nicole Malinconi, notamment pas dans une acception analytique. Nicole Malinconi n’est pas psychanalyste, elle est écrivain.

Et c’est dans ce sens que nous trouvons un certain courage, et une aide précieuse à situer son essai non comme un roman, non plus comme un témoignage.

Courage il en faut pour écrire, laisser des traces au regard et aux lectures plurielles, en disant tout simplement ce qu’est une analyse, pour elle, et ceci sans jamais mentionner quelque rancœur, quelque agressivité, tout juste quelques regrets réfléchis et presque théoriques. En ce sens je trouve ce livre fort intéressant pour ce qu’il en est d’une cure psychanalytique, décrite très habilement, n’étant ici ni une théorisation ni une dénonciation quelle qu’elle soit, ni une dévotion, ni un témoignage.  Ceci est certainement du à la position et à ses qualités d’écrivain de l’auteur. C’est là la force de ce livre : c’est un livre sur la psychanalyse écrit par un écrivain, écrit qui n’est pas témoignage explicitement « ouvert », mais récit, mieux, écriture, ce terme d’ « écrire », d’écriture qui revient sans cesse laissant augurer une suite à ce rapprochement, psychanalyse et écriture… Nous l’espérons.

Courage aussi car les trois psychanalyses ne sont pas récit chronologique mais, savamment … entremêlement…. des trois, au gré de l’écriture.

Qui est cette femme ? Bien sûr on pourrait, si le livre est pris comme une autobiographie, se demander Qui est qui ! Qui donc ? Est-ce important ? L’ « écriture du réel » est ici seule  importante. Si nous disons : quelle est cette femme, l’auteur, la narratrice, la mère, « la psy » de la dernière analyse, c’est bien évidemment qu’il y est question de femmes,  de « cette femme là ».  Il serait facile de déduire de la satisfaction (vraiment ?) de l’analyse avec le dernier analyste qui est une femme, que cela est lié à « la mère » ou à une identification à l’analyste. Ce n’est pas ce qui est écrit, et nous n’avons pas le droit de supputer cela, comme une « interprétation » « facile ». La séparation n’apparait pas facile non plus, et, même si nous trouvons dans la fin encore un peu de répétition, voulue par l’auteur dans les piétinements de la narratrice analysante, il y a une sanction  qui tranche !

Il y a de jolis mots sur des propos de physicien (pages 53 et 110), sur la haine (p. 93), sur l’argent (p.106).

La narratrice s’autorise à dire ce que c’est que l’analyse, selon elle. L’écrivain Nicole Malinconi a du l’aider avec son joli style littéraire, qui vient soutenir une sincérité agréable…. A lire !