Y a-t-il une spécificité de la névrose obsessionnelle féminine?
28 mars 2014

-

MAJSTER-VEKEN Rebecca
Textes
Psychoses-Névroses-Perversions

 

Brièvement, il me semble nécessaire pour ouvrir cette matinée de travail consacrée à la névrose obsessionnelle féminine de tirer le fil conducteur de ce qu\’il en est des grandes caractéristiques structurales telles que j\’ai pu les repérer dans les travaux de Charles Melman.[1]

J\’en retiendrai ici deux éléments qui m\’apparaissent opportuns pour la discussion de ce matin :

1. La réalisation d\’un processus d\’annulation du phallus dans le grand Autre

(à ce propos, je veux dire mon étonnement d\’avoir entendu parler hier de Forclusion du Phallus, ce qui ne me semble pas du tout être le cas dans la Névrose Obsessionnelle. De même, le terme de forclusion de la castration n\’est repris par Melman qu\’avec un double bémol : comment la castration, qui est un processus, serait-elle susceptible d\’être forclose ?)

2. La défense contre la castration. C\’est cette défense qui met en place le dispositif du refoulement.

Remarquons d\’emblée que ce n\’est pas de sa propre castration qu\’il s\’agit, mais bien de celle du grand Autre, qu\’il va s\’agir pour le petit obsessionnel d\’obturer. En effet, le Grand Autre n\’est pas seulement du registre du Symbolique, il est aussi d\’un Réel. L\’Autre réel que l\’on appellera la Mère.

Aussi, il lui paraitra intolérable que cet Autre Maternel soit castré, et, comme nous y reviendrons plus loin, dans le temps même de cette vision, il s\’en attribue la faute. Et c\’est tout naturellement que, du fait de l\’absence de pénis de la mère, il cherchera à s\’y substituer, se proposant d\’être son phallus.

Car, il aura bien entendu la demande de l\’Autre maternel qu\’il interprétera comme voeu de l\’avoir, ce phallus (le désir du phallus du père), et c\’est cette demande du phallus imaginaire qu\’il fera équivaloir à la demande du pénis, c\’est à dire, du point de vue de l\’obsessionnel, l\’objet sexuel lui-même.

Il y a donc pour lui un objet fantasmatique qui cause le désir de la mère, désir qu\’il n\’est pas en mesure de combler.

Ainsi avec l\’apprentissage de la propreté – qui est le lien le plus direct qui noue l\’enfant au désir de la mère – il y aurait là un objet, de l\’ordre du Réel, l\’objet anal, l\’étron, qui parce que l\’Autre semble accorder du prix à ses fèces, prendra valeur d\’échange mutuel.

Ainsi dans cette dialectique du don et de l\’échange avec cet Autre, les signifiants liés à cet échange, restent fixés, ordonnés par cet objet anal, et nous verrons comment dans les propos qu\’il tient, quelles que soient les défenses mises en place (et parce qu\’elles y sont, en place), l\’obsessionnel, se trouvera confronté à ce qui vient faire effraction pour lui, un Réel où se tient l\’objet, obstruant ainsi le trou même d\’où se supporte la signifiance.

Ce qui m\’amène à avancer l\’hypothèse qu\’un des enjeux possible d\’une direction de cure serait de désenclaver du tissage, de ce maillage dans la chaine signifiante, cet objet imaginaire, cette lettre, positivée du fait de la promiscuité à cet objet. Et peut-on supposer alors que de la langue maternelle tissée sur ce marquage équivoque et dans laquelle il se trouve faire impureté, souillure (Melman dit de cet objet qu\’il vient faire mastic entre les signifiants), il puisse passer à une langue maternelle Autre, assurée d\’un lieu Autre (le divan) afin d\’aviver le signifiant, voire de lui donner garantie.

 

Autre point : s\’il a saisi, capté, ce qui fait désir de la mère dans son manque sous cette forme inhérente à la demande, la conséquence sera que le petit obsessionnel l\’endossera comme un message, message venu de l\’Autre. Ainsi ses pensées inconscientes lui reviendront toujours de l\’Autre, avec les formes de contradiction, de commandements ou d\’interdits, d\’affirmations ou de négations que nous rencontrons dans notre clinique.

Dès lors, puisque dans son échange avec le Grand Autre, dans la mise en place de ce pacte symbolique et sur cette donnée d\’avoir à céder l\’objet qui est supposé lui être demandé par l\’Autre pour en jouir, il ne pourra que le garder pour en jouir lui-même puisque c\’est de jouissance qu\’il s\’agit, jouissance de l\’objet a qui le mène et qui présentifie aussi pour lui la Vérité de l\’Autre (qui est comme nous le savons le Lieu du sacré et de l\’abject).

Nous voyons ainsi comment pour lui il ne peut y avoir de lieu de Vérité. D\’où les mécanismes de doute que nous lui connaissons.

J\’évoquerai aussi ce trait d\’envie, de jalousie, de rivalité, à l\’égard de ce qu\’il considère chez le petit autre comme quelque chose d\’une jouissance à laquelle il n\’aurait pas accès, à laquelle il n\’aurait pas sa part. C\’est bien pour cela qu\’il aura ce grand rêve de mixité, de grande fratrie, rêve de parité.

Je voudrais maintenant revenir sur cette question de l\’Annulation du phallus dans le Grand Autre, telle que je l\’ai comprise :

1er temps – l\’enfant a bien compris l\’interdit et il a tout à fait la perception de la transgression et aussi de son implication : c\’est ce que Melman appelle \ »un équivalent incestueux\ », c\’est-à-dire le moment où il a eu cette vue de l\’objet et la façon dont il se place pour être celui qui sera le phallus.

Dans le même temps, celui qui fonde cette loi de l\’interdit se trouve suspendu (Melman parle ici de mort du père mort)

J\’évoquais tout à l\’heure que dans le temps même de cette vision, il s\’en attribuait la faute. Et là, dans ce que j\’évoque à présent, je dirai que, du fait même de cette aperception de l\’objet, (à l\’origine de la prévalence de la pulsion scopique chez l\’Obsessionnel) il y aurait élision du père symbolique. (Annulation)

2ème temps – cette mort se trouve reportée sur le Père vivant – le père Réel –

Je rappelle que c\’est du Père mort (Père symbolique) que le père Réel tient son autorité. Et cette annulation du Père symbolique, dans un glissement, un déplacement, ne peut que supprimer le Père Réel.

(C\’est là le meurtre qui l\’épouvante tellement, qu\’il n\’a pas commis, et qu\’il a peur de commettre!)

C\’est ce qui donnera à l\’obsessionnel ce caractère si pénible pour lui d\’abolir la spécificité du Réel de la mort, de sorte que la mort et le vivant se trouvent intrinsèquement liés pour lui dans un indécidable, sans coupure, à la recherche de la cause ou de l\’origine, avec les effets de stase, d\’inhibition, d\’empêchement que nous lui connaissons.

Il faut évoquer aussi cette coexistence de l\’amour et de la haine avec ses ravages dans la psychopathologie de la vie quotidienne. Il est hors de doute que le petit obsessionnel adore son père (en tant que marqué du défaut de pouvoir être annulé par la puissance de la pensée de l\’enfant) en même temps qu\’il éprouve pour lui une haine meurtrière. Il s\’évertuera donc à aimer ce qui serait susceptible de ressurgir de sa haine primordiale, et inversement bien sûr, c\’est à dire à honnir cette haine et être dans l\’oblativité et la religion.

Pour conclure, je dirai que ce que je trouve de particulièrement intéressant, c\’est la façon dont dans ce premier temps, qui est la réalisation du processus d\’annulation du phallus dans le grand Autre, se trouve engagée la position du sujet dans la structure. Il y a donc trois temps: le temps de voir, le temps d\’annulation, et ce troisième terme qui est celui de la faute, qui pourraient indiquer ce qu\’il en serait de la responsabilité du sujet dans la névrose.

Ceci étant avancé, je me trouve fort embarassée pour aborder la question de cette matinée. Et je tenterai de la poser de la façon suivante :

1 – y a t-il une spécificité structurale particulière à une femme obsessionnelle ?

2 – Si oui se déploie-t-elle avec des conséquences cliniques particulières ?

En m\’appuyant sur quelques courtes remarques cliniques je vais essayer d\’avancer quelques éléments qui me permettront peut-être de m\’éclairer dans ces difficultés.

Je reprendrai pour cela la question de l\’objet chez l\’obsessionnel et le rapport qu\’il entretient avec celui-ci, à savoir le refoulement de ce mélange de symbolique et de Réel qui lui fait retour sous forme d\’impératif. Est-ce bien différent chez une femme ?

J\’évoquerai ici une patiente qui avait accouché depuis quelques mois. Elle s\’était suffisamment bien débrouillée pour être ce que l\’on appelait \ »Fille-Mère\ ». Ce qui, dans ce type de tableau ce n\’est pas anodin ! Elle ne pouvait faire autrement que de courir d\’une façon compulsive acheter des journaux d\’hommes – Play-boy, Lui – où des photos de femmes nues offraient largement la vue de ce qui faisait énigme pour elle à savoir ce qu\’il pouvait bien y avoir dans le trou, qu\’elle ne voyait pas et en tout cas de difficilement identifiable pour elle.

Une autre patiente me raportait un rêve qui me semble bien illustrer ce rapport à l\’objet sexuel lui-même : dans sa cuisine, sur une étagère – une série de bocaux à l\’intérieur desquels elle voyait des organes génitaux, mâles, femelles, en série infinie.

Nous pouvons ainsi constater la difficile question qui est la sienne d\’avoir à se compter ou à se décompter dans l\’un ou l\’autre sexe, avec la remarque que le sexe anatomique n\’est pas la position sexuée.

Quant au dernier exemple clinique il me permettra d\’aborder trois points : La maternité ; les contre pensées ; la sexualité.

Cette patiente voulait un enfant avec un compagnon très incertain dans sa vie, auquel elle a un certain type d\’attache et qu\’elle méprise pour ses origines. Ainsi avec la procréation assistée, véritable passage à l\’acte, elle se dispensa d\’avoir à passer par l\’exercice sexuel, tentative par cette procréation de tordre le cou à cette relation au Grand Autre dans laquelle est est empêtrée, pour accéder à cette place de Mère, idéal inatteignable de haine et d\’attachement. En effet, après des silences de tourment, elle finit par raconter que lorsqu\’elle prend son enfant dans les bras pour la tétée, ou lorsqu\’elle veut parler de son petit garçon, elle a beaucoup de difficultés à le nommer (elle dira \ »LE bébé\ »), et il lui vient alors sous forme de jaculation des mots tels que \ »cancrelat\ », \ »chancre\ », ou pour dire \ »mon trésor\ », elle dira \ »mon ordure\ ».

Il lui est arrivé aussi en entrant dans mon cabinet, alors que je lui disais bonjour en la nommant, de siffler entre ses dents : \ »salope !\ » (Cette épithète n\’était-elle pas adressée à sa nomination par l\’analyste?)

Ceci pour mettre en évidence le rappport violent qu\’une femme obsessionnelle tient à l\’endroit du transfert et de sa teneur agressive.

Pour terminer j\’avancerai que les points rares de disjonction avec la N.O masculine serait que cet objet (à savoir l\’objet de la vision, objet fantasmatique) qui pour les hommes fait désir et entretient leur fantasme en leur permettant d\’exercer leur sexualité (le plus souvent hors légitimité avec plutôt du plaisir) ne me semble pas fonctionner de la même façon pour une femme. Il m\’apparait que, du fait de son rapport cru à l\’objet, elle ne serait en tout cas pas entamée par le sexuel.

Et mon dernier point, sans doute le plus actuel, est celui de la maternité. Du fait qu\’une femme dans cette structure ne serait pas entamée par le sexuel elle pourrait, avec l\’aide de la science, accéder à la maternité en se maintenant dans cette impasse sur la question de la sexualité et de son prix, et cela avec les conséquences que nous pouvons tout à fait prévoir pour une clinique de demain.

 


 [1] On se reportera notamment à

– La Névrose obsessionnelle (séminaire 1986-1987 et 1987-1988), non publié.

-R efoulement et déterminisme des névroses (séminaire 1989-1990),Bibliothèque du trimestre psychanalytique, publication de l\’Association Freudienne Internationale)

– La Nature du symptôme (séminaire 1990-1991), Bibliothèque du trimestre psychanalytique, publication de l\’Association Freudienne Internationale)