Le destin d’un enfant est en partie, en partie seulement, l’effet de la capacité de la mère à se laisser questionner, se mettre à la question, c’est-à-dire à faire de lui l’objet de son souci : que veut-il ? qu’est-ce que je veux pour lui ? et sous-tendu dans les dessous : qu’est-ce que veut l’Autre, qui fonde ce questionnement ?
Pour la mère, cette capacité à faire de l’enfant l’objet de son souci est fonction de comment elle se situe comme femme dans son sexe, dans cette division spécifiquement féminine ; d’une part elle est prise dans la signifiance phallique, dans la castration au titre de ne pas avoir le phallus, du fait d’être un parlêtre, un sujet de la parole, et d’autre part elle n’est pas toute prise dans cette question de l’avoir, puisque, en tant que femme elle a à pouvoir se faire la représentante de l’objet a, objet du désir d’un homme, ce qui la situe pas-toute du côté phallique.
Cette double division : celle du sujet côté homme du tableau de la sexuation, à partir de laquelle une femme va exercer sa maternité, c’est-à-dire sa parole de mère, et celle de la féminité côté femme, cette dialectique de l’avoir et de l’être organise ce qui va faire la capacité d’une mère à fonder le lien à son enfant, à le parler.
Du fait même de cette division spécifique, elle ne va pas être disposée de la mêm manière à l’égard d’une fille ou d’un garçon, sans que cela augure d’une quelconque facilité ou difficulté. L’altérité que présente un garçon peut être soulageante ou porteuse d’étrangeté, l’identique que présente une fille peut la remplir d’inquiétude ou au contraire mettre en place d’emblée une familiarité favorable.
Du côté du garçon c’est « tout naturellement » qu’il devrait être situé par la mère du côté de l’avoir. A charge pour lui de reprendre à son compte cette attribution et cet attribut, grâce à la métaphore paternelle. Ceci n’aura lieu que si la mère peut investir cet enfant comme objet et, qui plus est, objet cause de désir, métonymie du phallus.
Je voudrais à ce propos faire une remarque : si ce sont les garçons qui sont en plus grand nombre candidats à l’autisme et à la psychose infantile c’est qu’ils n’ont en quelque sorte, pour ce temps primitif, qu’une seule carte dans leur jeu : celle de l’avoir et si la mère ne les investit pas comme pouvant être son objet, il ne peut, ne l’ayant pas été, s’autoriser à l’avoir. Pour une fille , la carte de l’être peut toujours être jouée, dans une partie qui convient en quelque sorte à la féminité. La question de l’avoir est ainsi beaucoup plus radicale pour un garçon que pour une fille, et, à cet endroit là il dépend beaucoup plus radicalement de la capacité de la mère de l’investir ou non comme objet a.
Du côté des petites filles, la relation d’objet avec la mère est plus complexe et elle est aussi en partie comme je viens de l’évoquer de nature différente. Tout d’abord si la libido, le désir, est d’essence mâle, ce qui organise le désir propre de la fille, ce qui touche à son inscription dans le langage, à l’exercice de la parole c’est-à-dire à une place de sujet va la situer de la même manière que le petit garçon : dans le registre de l’avoir. C’est donc aussi de ce côté -là que le tourment des filles concernant le pénisneid est à situer. C’est là la dimension, la fonction du symbolique, qui va faire qu’une fille va se tourner vers son père.
Si elle se tourne du côté du père pour bénéficier d’une reconnaissance symbolique, d’une inscription au titre de phallus et de la castration, elle ne va recevoir cette reconnaissance que dans la mesure où elle accomplit son devoir phallique, dans l’accomplissement de l’idéal du moi, c’est-à-dire dans un destin masculin : la maternité, et non la féminité.
Et il y a la part Autre, pas-toute dans la signifiance phallique, de nature différente. C’est à partir de ce lieu Autre qu’il est possible de penser ce qui va permettre à une fille de se déplacer par rapport à l’envie du pénis. C’est au prix d’un déplacement, d’une migration de sa division à la place de l’objet cause de désir que cela peut se faire.
C’est là aussi ce qu’une fille a à apprendre de spécifique avec sa mère, dans le champ ouvert des identifications qui la portera de sa mère à d’autres femmes – et à la féminité . Ce lieu Autre lui est familier, (ce qui n’est pas une garantie de bien-être – ce peut être une familiarité de l’angoisse, du refus.) car c’est de là qu’ell a tissé ses premiers liens avec sa mère. C’est le lieu du narcissisme primaire grâce à la parole transitiviste de la mère. C’est aussi le lieu où une part du narcissisme secondaire va trouver à se fonder pour une fille, dans la mesure où ce qu’elle va apprendre de la féminité se passe là, comme semblant d’objet. Le narcissisme est donc articulé à ce semblant, à cet objet a – avec notamment ce qui concerne la dimension de la séduction qui met en jeu la division elle-même : semblant d’objet, c’est-à-dire métonymie du phallus. C’est pourquoi ce qu’une fille apprend de spécifique avec sa mère se trouve là, du côté de l’objet, si la mère comme femme est elle-même dans cette double division.
Les caractéristiques de cette situation font que, en effet, la petite fille attend du rapport à sa mère plus de subsistance que de son père. Dans ce lieu Autre, elle y est en tant qu’être (non en tant que S). chez elle, et le savoir qu’elle en a ne procède pas du symbolique tel qu’il est mis en place par le phallus, mais d’un symbolique tel qu’il s’origine du manque dans l’Autre, du S(A).
Ça parle, qu’est-ce que ça (me) veut ? qu’est-ce qu’elle (me) veut ? C’est là que nous pouvons situer l’origine du Che vuoi. Ch. Melman dit à ce propos que, à cette phase du refoulement qu’il qualifie de réel, nous pouvons concevoir combien la signifiance du Che vuoi est énigmatique.
Ce manque dans l’Autre, qui s’origine du jeu même de la langue s’organise pour un sujet donné dans et par la parole transitiviste de la mère. Trnasitisvisme au sens où J. Bergés et G. Balbo nous le font saisir – qui est ce qui précisément organise et noue le jeu de la demande et du désir de l’enfant au jeu de la demande et du désir de la mère.
Les objets pulsionnels sont causés par la mère, dans la mesure où elle lui cause, – c’est pourquoi on peut dire que c’est avec la mère que cela se pase – et il lui est demandé de consentir au langage, car elle fait la supposition que c’est cela qu’il veut, désire. Il lui est même demandé de céder ses objets, au-delà de ce que lui demande la mère, au langage lui-même, à l’Autre. Cette perte, à laquelle il lui est demandé de consentir, cet x énigmatique, quelle signifiance prend-il ? Ch. Melman nous rappelle que « parmi les signifiances possibles asurées par cet x, le phallus est un des éléments de la signifiance ainsi produite. Mais il y en a d’autre – par exemple la mort, le destin, l’ogre… Et dans ce contexte où la signifiance phallique n’est qu’une des interprétations de cet x, on voit bien que l’exercice sexuel se présente comme ce qui serait dérobé à la mort. »
Et bien je dirais que ces signifiances autres que phalliques sont à situer justement de ce côté Autre et qu’il y a une familiarité pour une femme à ces signifiances différentes. A propos de cela, et qui s’articule à ce que je disais à l’instant à propos du refoulement réel, de la demande et du désir de la mère et de l’enfant, je veux dire une petite histoire : à un enfant qui ne veut pas manger ce qu’elle lui a préparé, comment reconnaît-on une mère juive d’une mère italienne ?
La mère juive dit : tu veux me faire mourir, c’est ça ? Manges tes patates ou je me tue.
La mère italienne dit : manges tes pates, ou je te tue.
Si la fonction paternelle est ce qui valide pour nous cet x comme phallique et l’ordonne dans un pacte symbolique avec le prix à payer la castration, c’est-à-dire un usage raisonné, limité des pulsions et des jouissances, pourrions-nous dire alors que le déclin des noms du père entraîne l’ouverture de la boîte des autres signifiances ? La mort, en tant que x refoulé, revient alors sur le devant de la scène. Cela rendrait alors compte de cet intérêt actuel, manifeste, pour la place de la mère, pour les liens des mères et des filles et pour le côté Autre que phallique.
Avec Lacan, nous plaçons dans le nouage boroméen la jouissance phallique à l’intersection du Réel et du Symbolique et à l’intersection du Réel et de l’Imaginaire la jouissance Autre, hors langage, jouissance de la vie. Et si nous avions à situer le ravage dans les nœuds borroméens nous le placerions au prolongement de cette intersection Réel Imaginaire, de la même manière que le symptôme est situé au prolongement de l’intersection entre Réel et Symbolique
Ceci pour indiquer que ce qui se passe pour les femmes est actuellement beaucoup pris dans le registre d’un imaginaire qui n’est pas toujours lié au langage et à l’inconscient (imaginaire spéculaire), mais au réel.
Je sais qu’un certain nombre d’exposés vont traiter de cette question, c’est-à-dire des impasses dans lesquelles une fille ou une femme peut se trouver entre des sollicitations désaliénantes d’un réel social, et un discours maternel lui-même pas toujours arrimé à une altérité.
Je vais terminer ce que j’avais à vous dire pour mettre en route ces journées avec le dessin qu’une fillette « m »‘a fait il y a 2 jours, et qui est une mise en image justement de ce qu’une fille aurait à apprendre avec sa mère… et quelques autres.
C’est une histoire d’L.
Elle a perdu son grand-père il y a quelques mois et elle me dit combien elle est triste maintenant. Pourquoi maintenant ? Sa grand-mère va chez le coiffeur, se maquille, s’habille et passe beaucoup de temps avec Jules l’ami du grand-père. Elle ne s’occupe presque plus d’elle. Et chaque fois que la petite fille voit cet homme, elle pense à son grand-père et à son chien qui lui aussi doit être triste. Bref elle ne reconnaît plus sa grand-mère.
Nous en parlons. Je lui dis deux choses : elle a raison – en perdant son grand-père elle perd aussi sa grand-mère telle qu’elle était, c’est-à-dire la femme du grand-père et aussi que sa grand-mère c’est une dame – et somme toute pas si vieille que ça pour pouvoir rencontrer un jules.
Cette semaine, elle a donc fait ce dessin : deux femmes, deux elles l’une saute à la corde et elle a de très grandes ailes bleues, l’autre, toute belle, toute bien habillée promène le chien – elle aussi a des ailes.
De ce court extrait de cure, je souligne ceci, qui va se reprendre probablement au cours de ce week-end : l’analyste peut être ce relais, ce lieu où le désir peut à nouveau se lier grâce au transfert. C’est là de ce lieu et dans ce lien que quelque chose peut s’inventer par rapport à ce Réel dont je parlais à l’instant. Le jeu de la corde à sauter est unemise en acte de la double division d’une femme. C’est bien un jeu de petite fille!