Nous avons vu que l’étape essentielle du développement d’un enfant passe par ce moment où il devra admettre que sa mère n’a pas de pénis, qu’une personne aussi importante, aussi puissante, aussi attirante ne bénéficie pas de cet instrument qui fait la fierté du petit garçon et l’objet d’envie de la petite fille. On appelle donc castration le fait que l’enfant découvre qu’il n’est pas le seul à assurer la jouissance de sa mère et qu’elle trouve grâce au père, si tout va bien, la jouissance à laquelle elle aspire. Sa mère n’est « pas toute », elle est complémentée par le père. Le Nom du Père n’est que la traduction symbolique de ce qui vient faire limite à la mère dans une relation duelle à son enfant. La castration de la mère est ce qui permet la castration de l’enfant dont le bénéfice pour lui est de ne plus se sentir aspiré par la béance maternelle et soumis à son arbitraire. Peut-on dire qu’il y aurait une écriture qui serait capable d’organiser, de mettre en place la castration ?
Que va-t-il se passer si le Nom du Père s’avère incapable d’assurer la castration pour une femme ? Nous avons vu que la mère de Hans, qui tarde à admettre que son petit garçon puisse vivre en dehors de son autorité, cesse d’être à son entière dévotion, retarde son développement et le fait passer par cette période d’angoisse que nous appelons phobie, parce cette angoisse se cristallise sur un objet d’angoisse qui prend la forme d’un animal. Vous connaissez les enfants qui ont la phobie des insectes, abeilles ou araignées, ou la phobie d’animaux tout à fait familiers comme le chien ou le chat. Cette figuration bestiale vient à la place des personnages parentaux en tant que leur vie sexuelle, aux yeux de l’enfant est mal située. L’animal phobique est essentiellement menaçant et incontrôlable. Seule la mise en place de la lettre dans l’inconscient peut établir la limite et faire reculer l’angoisse. La proposition faite à l’enfant avec l’apprentissage de la lecture et de l’écriture vient à point apporter des éléments qui étayent le processus symbolique. Mais pour que cette intervention des apprentissages ne vienne pas déclencher un processus défensif angoissant comme la phobie, il faut que l’enfant ait franchi une étape essentielle à laquelle Freud a donné une appellation tirée d’un mythe : celui d’Oedipe.
On sait que l’histoire d’Oedipe s’inaugure de la fameuse question posée à Oedipe par la sphinge : « Qui le matin marche sur 4 pattes, à midi sur 2 pattes et le soir sur 3 pattes ? » Oedipe a trouvé la réponse. C’est l’homme, puisque bébé va à 4 pattes, sur ses deux jambes quand il sait marcher, et qu’il s’aide d’une canne avec son grand âge. Cette métaphore nous fait entendre quel est le minimum nécessaire pour un enfant pour être en état d’apprendre, c’est de pouvoir compter jusqu’à 4, ou plutôt de compter jusqu’à 3, à la condition d’admettre que compter jusqu’à 3 passe par la notion du zéro. L’acquis indispensable et préalable aux apprentissages est celle du zéro en tant qu’il est le représentant de ce dont nous avons parlé : la castration maternelle. Un enfant qui croit que Maman a un pénis n’est pas en situation d’accéder à la lecture et à l’écriture, encore moins de pouvoir compter. La suite des nombres, si elle n’est pas une simple ritournelle, implique que l’enfant ait eu accès au zéro, c’est-à-dire au manque.
Vous voyez à quel point le développement psychique et mental d’un enfant est lié à ses découvertes dans le domaine sexuel. Aborder prématurément les apprentissages peut déclencher un processus défensif qui prend appui sur la lettre dans l’inconscient et s’opposer à l’utilisation du code que l’enfant doit admettre sans discussion.
Pourquoi l’enfant est-il si fier quand il a acquis une maturité suffisante pour pouvoir écrire son prénom, puis son nom. C’est la lettre et son écriture qui permet la jouissance du Un. L’enfant qui réussit à écrire son prénom et son nom trouve à coup sûr l’occasion d’écrire sa lettre refoulée dans l’inconscient et qui fait retour. La lettre permet le retour du refoulé, être l’unique de la mère et jouir d’être Un : « Je suis Un, je suis un sujet parce que cette lettre est là pour me représenter en l’absence de tout autre représentation. » Avec l’écriture s’isole la lettre qui est pour moi objet de jouissance dans ma vérité de sujet. Articulée avec le nom propre, le patronyme, la lettre de l’inconscient est ce point d’ancrage qui permet à l’enfant de trouver appui sur le père et de se percevoir comme sujet autonome, libéré des entraves maternelles.
Pourquoi, pour apprendre, faut-il avoir franchi le complexe d’Oedipe ? ->