Le souvenir n’est pas l’exact opposé de l’oubli. On peut ne pas avoir oublié et pourtant ne pas se souvenir. C’est resté enfoui quelque part. Mais aussi l’inverse est vrai : on peut avoir oublié et pourtant se souvenir. On se souvient de quelque chose qui, en fait, a été oubliée. C’est ce que Freud a défini comme ayant été déclenché par le trauma. L’évènement traumatique a été oublié mais il laisse des traces et dans certaines conditions, renaît l’angoisse chez le sujet qui se traduit par un achoppement de la parole. Cet achoppement au niveau de la parole se situe au niveau de la lettre.
La lettre dans l’inconscient c’est cette lettre particulière qui se dérobe ou qui s’impose de manière incongrue. L’oubli du nom SIgnorelli donné en exemple par Freud est ce nom propre, celui d’un peintre dont Freud voudrait évoquer une oeuvre précise, les célèbres fresques d’Orvieto. Impossible… Freud peut citer les noms de peintres non moins célèbres : Botticelli, Boltraffio, Fra Angelico da Fiesole. Ce nom qui lui est habituellement si familier continue de lui échapper.
Ce trébuchement de la parole est un trébuchement de langage. C’est en fonction d’une substitution phonématique qui est elle-même trace, que nous sommes conduits au ressort véritable de ce trouble de mémoire et c’est en ce sens que le désir intervient. De quel désir s’agit-il ? Je vous engage à lire ou à relire l’article de Freud intitulé « Sur le mécanisme psychique de l’oubli » pour retrouver les chaînes des associations de pensées de Freud qui aboutissent au thème de la mort et de la sexualité. (Résultats, Idées, Problèmes)
À quoi le mène irréductiblement cette chaîne associative menée à son terme ? Au désir de tuer son père. De là Freud est renvoyé au nom du père, autour du nom et pas de n’importe quoi. C’est en raison de ce nom du père que son désir est conduit à ce point douloureux, crucial, refoulé qui est le désir de tuer son père et ce désir de coucher avec sa mère, qui est la voie par laquelle se fait la normalisation hétérosexuelle dépendant d’un effet de signifiant que Lacan désigne sous le terme de Nom du Père (Problèmes Cruciaux de la Psychanalyse, séminaire des années 1964-65)
Chacun sait par expérience ce qui arrive quand nous cherchons le nom propre que nous n’arrivons pas à trouver. Il se produit une métaphore, il se produit des substitutions. Mais c’est une métaphore bien singulière, tout à fait inverse de celles qui ont une fonction créatrice de sens, de significations. Il s’agit de sons purs qui viennent. Des noms de lieu assonent avec les noms des peintres de substitution. Bosnie assone avec Botticelli et Boltraffio etc.
Sig les trois premières lettres du nom oublié sont aussi les premières lettres du prénom de Freud : Sigmund, le petit Siggi de sa mère, « le point d’où il se regarde » nous dit Lacan en faisant allusion à la fonction du regard maternel. Le « trou du nom perdu » représente à l’opposé la présence en creux du nom du père, prénommé Jacob Koloman. La lettre O diversement associée au B au L ou au C se donne à entendre mais aussi à lire. La barrière de l’inceste, c’est le nom du père. La lettre représente ce trait d’identification primordiale au père, l’identification au 1 d’où part tout ce que nous pouvons repérer du sujet. Elle est inscription, mais elle est aussi réinscription de ce trait d’identification
Le nom propre n’intervient dans la nomination qu’en raison propre de sa sonorité. Il n’a en dehors de cet effet aucune espèce de portée significative. Il ne peut y avoir de définition du nom propre que dans la mesure où nous nous apercevons du rapport de l’émission nommante avec quelque chose qui est de l’ordre de la lettre. Il faut porter l’attention sur le matériel sonore. (L’identification, Séminaire du 20 décembre 1961)
Le nom propre est ce qui est selon la définition de Lacan ce qui est le plus arbitraire, le plus indicatif, le plus concret, le plus chargé de sens et le plus vide…
Qu’est-ce que l’oubli du nom, ou le lapsus ou l’acte manqué ? Que vient-il commémorer ? Lacan précise ce point de rebroussement, de retournement de la conscience pour parler de la bouteille de Klein. Il emprunte à Heidegger qui la tenait de Hegel cette curieuse expression : le Holzwege, le chemin qui ne mène nulle part. Mot à mot c’est un chemin de transport de bois. La route forestière peut ne mener nulle part. Elle est un simple chemin d’exploitation. Ce sont les chemins qu’empruntent l’analyste et son analysant. Nous n’avons pas à amener le sujet vers une rencontre incestueuse pour la simple raison que lorsqu’il vient vers nous, cette rencontre a déjà été accomplie. Nous le menons à toucher du doigt qu’il y a une limite qui ne saurait en aucun cas être franchie.