Un article du mensuel Pour la science nous laisse quelqu’espoir de voir l’oeuvre de Jacques Lacan enfin connaître une publication convenable… dans un siècle !
"Un élève qui a entendu lui-même une part importante des leçons de Ferdinand de Saussure sur la linguistique générale, et connu plusieurs des documents sur lesquels repose la publication, éprouve nécessairement une désillusion à ne plus retrouver le charme exquis et prenant des leçons du maître. Au prix de quelques redites, la publication des notes de cours n’aurait-elle pas conservé plus fidèlement la pensée de Ferdinand de Saussure, avec sa puissance et son originalité? Et les variations elles-mêmes que les éditeurs paraissent avoir craint de mettre au jour n’auraient-elles pas offert un intérêt singulier ?"
Cette remarque dépitée d’un jeune auditeur du maître genevois en 1919 dans une préface à sa propre thése vise le Cours de linguistique générale publié par Bally et Sechehaye. Difficile de ne pas songer à celles que nous inspirent l’édition actuelle du séminaire de J. Lacan.
Simon Bouquet, auteur de La linguistique contemporaine redécouvre Saussure (consultable sur la toile (*)) nous enseigne comment une "conjuration du silence" masquera longtemps que le célèbre Cours n’est qu’une une reconstruction alourdie de l’enseignement de Saussure. Conjuration imposée par les auteurs qui, animés par une passion éditoriale étrangère à la passion scientifique, ont laissé croire que leur maître était l’auteur de ce rafistolage.
Les recherches de 1957 du Genevois Robert Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale puis l’édition critique du philologue bernois Rudolf Engler en 1968 avaient déjà appelé la vigilance. La découverte fortuite en 1996 dans une propriété familiale De l’essence double du langage, (paru dans les Écrits de linguistique générale), à Genève permet de découvrir une conception et un style autrement plus audacieux. Il s’agit de notes trés fournies de la main de Saussure en vue d’un livre sur la linguistique générale (elles ont été publiées en 2002 sous le titre Écrits de linguistique générale, et regroupées avec tous les autres écrits conservés à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève).
L’article de Simon Bouquet montre que l’envergure de la pensée de Saussure était d’une toute autre ampleur que celle de l’"idéal épistémologique" qui fait le fonds de commerce de la linguistique actuelle et voudrait, selon une utopie largement partagée, en faire une branche des "sciences cognitives"
Nous pouvons nous féliciter que la patience et la constance des chercheurs permettent la réhabilitation d’un enseignement capable d’insuffler une nouvelle vitalité à une discipline malmenée.
S’agissant de Lacan le travail indispensable de restauration est déjà en partie accompli: il demeure malheureusement inaccessible à cause de l’opposition de l’exécuteur testamentaire. Là aussi la cupidité éditoriale empêche une publication convenable seule en mesure de donner sa juste place au Séminaire et à en révéler le tranchant.