La Chute dans Finnegans Wake
20 octobre 2014

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DALZELL Tom
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La chute d’Adam et Eve, et la chute de Tristan. On avait envoyé Tristan pour qu’il ramène Iseult en Angleterre afin qu’elle devienne l’épouse du roi. Cependant, Tristan lui-même tomba amoureux d’Iseult, et cela entraîna sa chute.

Adam et Eve, et Tristan, deux fautes coupables dans les quatre premières lignes du livre. Mais Finnegans Wake est une histoire universelle. Le deuxième chapitre nous apprend que le roman concerne surtout la faille d’un certain homme, Humphrey Chimpden Earwicker, HCE. Mais en fait, ainsi qu’Atherton et Tindall l’expriment, il s’agit d’une histoire de l’humanité. C’est une histoire touchant n’importe qui, n’importe où, n’importe quand.

HCE n’est pas seulement un personnage au sens habituel du terme. Les lettres HCE sont les initiales de plus de soixante noms dans le livre, à commencer par « Howth Castle and Environs » dans le premier paragraphe. HCE est Monsieur tout le monde, ou comme Joyce le dit : « Here Comes Everybody » (25 : 40).

Earwicker, HCE, ce monsieur tout le monde, tient une taverne à Chapelizod, à proximité du Parc Phoenix à l’ouest de Dublin, ville divisée par le fleuve, « The Liffey ». C’est un pécheur, tout comme Adam dans le livre de la Genèse; comme Tim Finnegan, le maçon irlandais de New-York dans la ballade humoristique « Tim Finnegan’s Wake », qui tomba de son échelle; comme le Humpty Dumpty de la comptine pour enfants, assis sur un mur, Humpty Dumpty qui fit une grande chute; comme l’homme politique Charles Stewart Parnell dont la chute politique était due à la relation qu’il entretenait avec Madame Kitty O’Shea.

En effet, Earwicker, est semblable à tous les hommes qui n’ont jamais vécu. Finnegans Wake contient un nombre incalculable d’allusions à des pécheurs exemplaires, ou à des personnages historiques déchus de la mythologie, et de la religion, mais ils trouvent tous leur expression dans HCE, le « Phoenix culprit » (18 : 32) ainsi que Joyce l’appelle, unissant, comme Campbell a expliqué, le felix culpa du péché d’Adam et la soi-disant faute d’Earwicker dans le Parc Phoenix.

Si Earwicker incarne un homme universel, sa femme, Anna Earwicker, incarnée dans Finnegans Wake par le fleuve, The Liffey, et non seulement un seul fleuve, car quelque 800 noms de fleuves apparaissent dans le livre, elle est l’incarnation de toutes les femmes. Appelée « Anna Livia Plurabelle », ALP, elle est aussi plurielle que son mari. Que Lacan me pardonne, elle est « toutes les femmes » ! Elle est Eve, et la Vierge Marie, et la déesse Isis, ou n’importe quelle femme à qui vous pouvez penser. Bien que, selon la comptine, ni les sujets du roi, ni ses chevaux, ne purent recoller les morceaux de Humpty Dumpty, elle ramasse quand même les morceaux de HCE; elle les lave dans son fleuve, les recolle finalement, mais seulement pour voir l’histoire se répéter encore et encore, quand le fleuve retourne à sa source, tout comme la théorie cyclique de l’histoire de Vico, après s’être mêlée aux eaux salées de la baie de Dublin.

Les Earwicker ont des jumeaux et une fille. Les frères Shem et Shaun voyagent autour du globe, leurs orbites respectives se croisant en Australie et en Irlande, formant ainsi le cercle et la croix du nœud borroméen de Lacan. Mais ces deux fils rivaux incarnent tous les frères ennemis de tous les temps, à commencer par Caïn et Abel. Quant à la fille, Isabelle, ou comme le suggère Tindall, « Iseult la belle » car Chapelizod signifie la Chapelle d’Iseult, elle représente toutes les jeunes filles dans le monde.

Tous les personnages qui figurent dans Finnegans Wake – et il y en a un millier – tous sont des « représentations » de HCE et d’ALP, Shem, Shaun et Isabelle. Cette famille représente toutes les familles, et chacun d’entre eux commet une faute. La Chute originelle, la Chute d’Adam et d’Eve se produisit dans le Jardin d’Eden. Le Jardin d’Eden de Dublin c’est le Phoenix Park, et c’est à Chapelizod, près du parc, que les premiers parents, HCE et ALP, ou « our forced payrents » ainsi que Joyce les appelle (449 : 2), commirent leur faute et contractèrent une dette à payer.

Et ce qui arriva aux parents arriva également aux enfants. Ainsi donc Finnegans Wake peut s’interpréter comme l’histoire de Joyce lui-même et sa femme Nora Barnacle ; comme l’histoire du père de Joyce, John Joyce, ce père que Lacan appelle un père indigne, un père carent et sa femme; comme l’histoire de HCE et d’ALP, l’histoire d’Adam et Eve, et ainsi de suite, avec un va et vient perpétuel, l’histoire se répétant in saecula saeculorum.

La structure du livre est circulaire parce que, selon Vico, l’histoire est circulaire. Vico pensait que l’histoire était la répétition cyclique de trois âges, l’âge des dieux, l’âge des héros, et l’âge des hommes, puis un ricorso, un retour aux sources et le cycle recommence à nouveau. Ce qui arrive est déjà arrivé et arrivera encore. Ou, comme Joyce le dit lui-même: « Teems of times and happy returns. The seim anew. Ordovico or viricordo » (169 : 6-7). Ordovico, l’ordre de Vico, fait en sorte que l’histoire se répète. Il en est ainsi dans Finnegans Wake, c’est une question de répétition. Une chute succède à une autre chute.

Le jeune Joyce reçut de ses professeurs jésuites une éducation approfondie en matière de doctrine catholique. Et s’il critiquait l’Église, il garda toute sa vie les principes fondamentaux de la philosophie et de la doctrine catholique. Il savait bien donc, que la doctrine classique de la Chute, du Péché Originel, remontait à Saint-Augustin. Selon lui, le premier péché, en tant qu’événement historique, affectait non seulement Adam, mais aussi tous ses descendants; et ce n’était pas seulement la culpabilité du péché d’Adam qui avait été transmise à l’humanité après lui, mais ses effets également.

Joyce semble appartenir à cette tradition lorsqu’il fait référence au Jardin d’Eden et aux conséquences pour nous après la Chute originelle. « Though Wonderlawn’s lost us forever », dit-il, « Alis, alas, she broke the glass! Liddell looker through the leafery, ours is the mistery of pain » (211 : 21-23). Ici, le personnage d’Alice de Lewis Carroll, Alice Liddell de Through the Lookingglass and What Alice Found There, est présentée comme representant Eve du Jardin. Elle brisa le miroir et nous qui la suivirent avons hérité de sa culpabilité, la « cutletsized consort » d’Adam (201 : 40).

Mais Joyce est allé plus loin encore que l’approche traditionnelle, et attribua la faute à Dieu lui-même. La chute n’est pas une trahison commise par un humain contre Dieu, mais bien un événement pour Dieu lui-même. Vico fonda sa théorie du langage sur l’idée que le tonnerre était, à l’origine, interprété comme la voix de Dieu. Dix coups de tonnerre éclatent dans Finnegans Wake. Chacun est exprimé par un mot de 100 lettres. Et Joyce les présente comme un signe de bégaiement. La voix tonitruante de Dieu bégaie, car c’est lui, et non Adam, qui est responsable du Péché originel.

Finnegans Wake est donc une nouvelle Bible. Elle contient une pléthore de références à la Bible – chaque page en contient au moins une. Mais plus encore, Finnegans Wake se place sur un pied d’égalité avec la Bible. En fait, Joyce prétend que c’est la lettre d’ALP, la lettre utilisée pour défendre HCE, qui inspira la page Tunc du Book of Kells, le grand Evangéliaire irlandais du huitième siècle. Tout particulièrement, Joyce écrit un nouveau Livre de la Genèse, qu’il appelle régulièrement « Guinness », la bière irlandaise, et un nouveau récit de la Chute biblique. Son livre se compose de toute une série d’histoires basées sur le péché du père, et toutes s’inspirent de l’histoire de sa propre famille.

Pour comprendre , l’idée hérétique de Dieu que se fait Joyce est basée sur l’expérience de son propre père, qui était responsable de la Verwerfung de fait, la de facto Verwerfung, que Lacan voit en Joyce lui-même. Malgré le fait que Joyce aimait son père, il savait que son père était responsable des déboires de la famille.

Dans Séminaire XXIII, Lacan affirme que le père de Joyce était un père indigne, un père « carent », c’est-à-dire un père déficient. En fait, la ballade « Tim Finnegan’s Wake » était une des favorites de son père. Selon Gordon Bowker, l’auteur de la nouvelle biographie de Joyce, seul le fils de John Joyce aurait pu écrire le livre Finnegans Wake. Si la place de son père n’avait été si grande dans sa vie, il n’aurait jamais pu imaginer et créer les personnages d’Earwicker et de sa famille, Anna Livia, Issy, et Shem et Shaun. Bowker corrobore en cela l’avis de Louis Gillet, selon qui, la relation particulière, unissant ce père et ce fils, était un élément central dans la vie de Joyce, le fondement de son travail. Bien sûr, la question que nous devons nous poser est : était-il un père, John Joyce? A-t-il accompli son devoir paternel ? A-t-il montré à Joyce la « consubstantialité du père et du fils », comme l’a exprimé Charles Melman ?

Le grand-père de Joyce, James Augustine Joyce, est né à Cork en 1826. Il était maquignon et il avait perdu beaucoup d’argent dans les jeux de hasard. Quand il avait dû mettre la clé sous la porte, il était devenu inspecteur de fiacres. Son fils, John Stanislaus Joyce, le père de Joyce, est né en 1849. Il a fait un bref passage au Saint Colman’s College, dans la ville de Fermoy, en County Cork – une école dirigée par des prêtres – même si plus tard, il est devenu anti-clérical. John Joyce était un bon chanteur à l’école et il adorait non seulement de grands airs d’opéra, mais aussi les ballades irlandaises, une passion qu’il a transmis à son fils James, avec celle des promenades dans Dublin. À l’université, le Queen’s College Cork, John s’adonna au sport, et à la boisson, et il chantait souvent des chansons humoristiques lors de concerts, dont « Tim Finnegan’s Wake ».

Cependant, ayant raté les examens de deuxième année, il quitta l’université sans diplôme. Après avoir travaillé comme comptable, il devint secrétaire dans une distillerie qui fit faillite. Il travaillait alors comme secrétaire auprès de l’United Liberal Club, et il commença à s’impliquer dans la politique ; selon les rumeurs, il était même en train d’obtenir un siège au parlement. Mais il se retrouva bientôt sans travail, et il eut la chance d’être nommé percepteur à Dublin, malgré les accusations de détournement de fonds portées contre lui.

Après la chute du politicien Parnell, John commença à boire davantage. Lorsque la plupart de ses collègues furent mis à la retraite, sa fortune s’effondra violemment. Dépensier, il s’endetta, et la famille fut vite contrainte de mener une vie de gitans, déménageant la nuit d’une adresse à l’autre afin d’éviter de payer les factures. John était devenu – comme le disait le frère cadet de Joyce, Stanislaus – un médecin raté, et un acteur, chanteur et secrétaire commercial ratés.

Tandis que Stanislaus détestait son père ouvertement, James ne rendait pas les échecs de son père responsables du déclin de la fortune familiale, et de sa sortie de l’école prestigieuse jésuite, Clongowes, pour Belvedere. Dans une lettre à Harriet Shaw Weaver, sa bienfaitrice, il rejetait la faute sur la société irlandaise paralysée. D’autre part, dans l’histoire « Grace », dans Dubliners, Joyce décrivait son père comme un ivrogne terrible.

Lorsque John mourut en 1932, Joyce confia à Harriet que, pécheur lui aussi, il aimait encore le vieil homme, qui lui avait légué un mode de vie licencieux et extravagant, la source de son talent. La prière à la fin de A Portrait of the Artist as a Young Man s’adresse à son père : « Old father, old artificer, stand me now and ever in good stead ». Cependant, dans Ulysses, il ne trouvera pas le père qu’il recherche, car, selon Lacan, il « en avait soupé » ; il en avait eu assez ; il ne voulait plus de père. Ce n’est donc pas par hasard que, malgré le remords qu’il éprouvait de ne pas avoir rendu visite à son père durant vingt ans, Joyce ne se rendit pas à ses funérailles.

Quel effet a-t-il eu ce père, ce médecin raté, cet acteur, chanteur et secrétaire commercial ratés, ce « père carent », sur son fils ? Dans Portrait of the Artist, Simon Dedalus, le père de Stephen, confie que son père avait été davantage un frère qu’un père pour lui. Et lorsque Simon et Stephen visitent l’amphithéâtre d’anatomie de l’école de médecine de Cork, à la recherche d’initiales qu’y avait un jour gravé Simon, Stephen y découvre le mot « fœtus », ni plus ni moins, une découverte qui lui coupa le souffle. Selon le texte, il était choqué de trouver dans le monde extérieur une trace de ce qu’il avait jusqu’alors considéré comme « a brutish and individual malady of his own mind ».

Fœtus, pas né, pas nommé. D’où la remarque de Flavia Goian, que la volonté de Joyce, de voir son œuvre survivre dans les universités pour trois cents ans, signifiait son envie d’être connu, qu’il cherchait la renommé, à être re-nommé. Pour Lacan, Joyce essayait de pallier un manque : ce que son père ne lui avait pas donné. Mais ce n’était pas une question de savoir universitaire, malgré ce que Lacan a dit: que le père de Joyce ne lui avait rien appris.

Qu’est-ce que John Joyce n’avait pas appris à son fils ? Ou plutôt, qu’est-ce qu’il ne lui avait pas transmis ? Dans le Séminaire XXIII, Lacan affirme qu’on n’aurait pu prendre un moins bon départ que Joyce. Il explique que l’organe masculin n’était pas suffisant pour l’engendrer comme un fils, et, puisque son organe était de toute façon un peu veule, son art a compensé ses portées phalliques et restauré son nœud afin de combler la Chute. Selon Lacan, le problème chez Joyce, c’est que la trinité Réel-Symbolique-Imaginaire n’est pas convenablement nouée. Comme vous le savez, dans Portrait of the Artist, Stephen est passé à tabac et il ne réagit pas. Ce n’est pas simplement parce que sa relation au corps est fautive, mais, selon Lacan, parce que son Imaginaire n’est pas noué au Réel et au Symbolique. C’est pourquoi un quatrième rond est nécessaire, afin de compenser le vide laissé par son père déficient : un sinthome, qui peut réparer le péché originel du père, qu’était un péché d’omission.

Qu’était-il, son père, censé donc lui enseigner ? On en a une idée, grâce au père de Schreber, cet éducateur allemand renommé, qui, selon les dossiers médicaux de Schreber, a fait l’expérience d’idées compulsives et d’impulsions meurtrières. Selon Charles Melman, le père de Schreber ne savait pas ce que signifiait le Nom-du-Père. Il ne cherchait pas l’autorité auprès du père décédé, mais de lui-même, en tant qu’éducateur, comme celui qui transmet un savoir plutôt qu’une connaissance dont l’enfant a besoin. Schreber a perçu son père éducateur, et a forclos le Nom-du-Père.

Le père de Joyce ne lui a rien appris, sauf peut-être à chanter des chansons populaires. Charles Melman, qui connaît très bien les Irlandais, croit que les Irlandais savent très bien, dans leur chair, ce que veut dire le Nom-du-Père. Ils savent, que le Nom-du-Père est un nom, un signifiant, et que, à cause du manque de ce signifiant, les Irlandais ne pourraient pas être reconnus dans le réel ; que cela émasculait leurs hommes et déshonorait leurs femmes ; et que, peut-être plus fondamentalement, que cela les obligeait à abandonner leur langue originale, l’irlandais.

Le père de Joyce, John Joyce, voulait le Home Rule pour l’Irlande, mais il a accepté cette situation. Le recensement de 1901, réalisé par lui en tant que chef de la maison au « number 8 Royal Terrace, Clontarf », au côté nord de Dublin, indique que seuls ses fils, James et Stanislaus, pouvaient comprendre la langue irlandaise. La langue irlandaise avait beaucoup souffert à cause de la grande famine. Mais elle était déjà proscrite dans les écoles maternelles, qui ont été créées dans les années 1830, et les enfants, surpris à l’utiliser, étaient battus par les enseignants. Dans Portrait of the Artist, Stephen affirme : « Mes ancêtres ont renié leur langue pour en adopter une autre…. Ils se sont laissés assujettir par une poignée d’étrangers. Crois-tu que je vais payer, de ma vie et de ma personne, les dettes qu’ils ont contractées ? ». Mais en réalité, Joyce payait ces dettes.

À la naissance de Joyce en 1882, les irlandais parlait une langue étrangère. Selon Bowker, en renversant la « langue anglaise intrusive », Joyce voulait établir l’Irlande sur la carte littéraire. Joyce, il est vrai, tenait à s’affranchir de l’emprise des Anglais, dont il empruntait la langue pour écrire, mais pas pour penser. D’où cette affirmation à Stefan Zweig, lorsqu’il était en exil à Zürich : « Je ne puis pas m’exprimer en anglais sans m’enfermer du même coup dans une tradition ».

Dans Finnegans Wake, il attaque la langue anglaise. Il n’écrit pas en anglais, mais en ce que Melman appelle « le Joycien ». Mais Joyce n’est pas un William Butler Yeats. Il n’est pas facile de catégoriser Joyce comme adhérent au « Celtic Revival» qui revendiquait, parmi d’autres choses, la restauration de la langue irlandaise. Il a essayé d’améliorer sa connaissance de la langue, mais l’a abandonné très vite. Mais surtout, Joyce n’essayait pas d’établir l’Irlande sur la carte. Il essayait de s’y trouver une place pour lui-même, en tant que sujet, après le mauvais départ que sa vie avait pris à cause de son père carent.

Mais dans Finnegans Wake, ce n’est pas seulement John Joyce, son père, qui a péché; ce n’est pas seulement notre père Adam qui a péché, le « Father of Truants » (201 : 39) comme Joyce l’appelle ; ou même Earwicker, le père de Shem et Shaun et d’Isabelle, qui a peché ; mais le père divinisé, la figure du Père suprême. Ainsi au lieu de « Notre Père qui es aux cieux » (« Our Father who art in heaven »), Joyce écrit : « oura avatars that arred in Himmal, harruad bathar namas » (467 : 31-32).

Saint-Augustin enseignait que la faute d’Adam était effacée par le baptême. Et donc une autre figure du père, Saint-Patrick, venu en Irlande en l’an 432, est présentée vers la fin de Finnegans Wake, non seulement comme celui qui allume le feu pascal sur la colline de Tara, mais comme celui qui baptise le peuple tombé d’Irlande. Il met fin, (Finnegends), aux effets de la Chute. En lui, Dieu lui-même, le grand « Je suis » (mishe en irlandais), est « Avoice from afire » (une voix à partir d’un feu/ du loin), qui « bellowsed mishe mishe » (a crié : « je suis, je suis »), pour demander à Patrick de baptiser la terre d’Irlande : « tauftauf thuart peatrick » (3 : 8-9). Taufen signifie baptiser en allemand ; l’Irlande est le rocher de peat, de tourbe, « tauftauf thuart peatrick » ; et le « tu es Petrus » est là aussi.

Pour Patrick, le baptême est la clé. Dans Finnegans Wake, Patrick dit aux Quatre, à Mamalujo, aux quatre évangélistes, Matthieu, Marc, Luc, et Jean, ou quatre « avunculists » comme Joyce les appelle: « Moy, jay trouvay la clee dang les chants » (Moi, j’ai trouvé la clé dans les champs) [371 : 25-26]. Ce que Patrick a trouvé dans les champs c’est le shamrock, le trèfle, avec lequel il a enseigné la doctrine de la Trinité aux Irlandais. Bien sûr, la clé du propre problème de Joyce, la Verwerfung de fait, comme Lacan l’appelle, est également trinitaire. Grâce à son œuvre, par laquelle il fait son sinthome, il est capable de nouer ensemble la trinité du Réel, Symbolique et Imaginaire d’une manière que l’Imaginaire ne s’échappe pas. En d’autres termes, il est capable de réparer en lui-même les effets héréditaires de la Chute, les effets de son père, et du père de son père, qui en étaient responsables.