La suggestion de Jean-Jacques Tyszler d’interroger le cogito en fonction du contexte actuel de la modernité, vient bien à propos. Elle me permet de vous proposer une petite fantaisie en guise d’introduction aux leçons 7 à 12 du séminaire « La Logique du Fantasme », car pour plus de clarté, j’ai écrit mon exposé et, pour cela, j’ai eu recours à l’ordinateur.
A la fin de la transcription, je vérifie l’orthographe. Et comme dans mon texte, je fais figurer le terme JE par des majuscules, j’obtiens, assez normalement cette remarque de l’ordinateur : « A cet endroit de la phrase, le JE ne prend pas de majuscule ! » Parmi les possibilités qui me sont proposées, il y a l’option « Ignorer » sur laquelle je clique tout naturellement.
Un peu plus loin dans le texte, le JE réapparaît au milieu d’une phrase avec cette majuscule – contestable, certes – et l’ordinateur, objet produit par la science, qui connaît l’orthographe et qui sait la grammaire, se manifeste par cette question : « Etes-vous sûr que le JE soit bien à sa place ? »
A vrai dire, j’en suis assez sûr : malgré cette petite majuscule sans prétention, le JE a bien sa place à cet endroit de la phrase. Quoique, venant de travailler la question de la place du JE du cogito, je ne sois plus tout à fait sûr de la place que le JE pourrait encore tenir. Mais enfin, comme l’ordinateur, bien que connaissant la grammaire, n’est pas censé penser, je clique donc sur la touche « Ignorer ».
Et vous remarquerez que, ce faisant, l’ignorance pour laquelle je me décide, n’est plus tout à fait la même que la première fois puisque je passe, en quelque sorte, d’une ignorance volontaire à une ignorance résignée. Méditant en cela la formule de Lacan que c’est le répétant qui fait que ce qui avait à se répéter devient le répété, je m’attends donc à ce que l’ordinateur réagisse à chaque fois que le JE apparaîtra dans le texte… ce qui ne tarde pas à se produire car le JE avec majuscule se retrouve à nouveau, à la fin de la phrase suivante… malencontreusement, dirais-je. Et l’ordinateur, objet produit de la science, qui connaît l’orthographe et qui sait la grammaire, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas JE, me fait cette injonction définitive, celle qui me sera adressée à chaque fois que le JE fera son apparition : « Remplacez le JE par le MOI ! »
La morale – forcément douteuse – de cette histoire me vient d’un informaticien qui prit mon cas au sérieux : « Pour éviter ce genre de problème, conclut-il, il aurait fallu cliquer tout de suite sur l’autre solution : ignorer toujours ! »
Retenons donc qu’en certaines matières, on peut trouver plus logique d’ignorer toujours que d’ignorer simplement.
Le fil conducteur de ces leçons concerne ce que Lacan entend désigner par le terme d’aliénation. Si vous portez votre attention sur le tout début de chacune des leçons que nous allons travailler, vous remarquerez que Lacan commence par cette référence à l’aliénation. A titre de seconde introduction, je vous propose un aperçu de ces leçons en fonction de ce fil conducteur qui se trouve tout indiqué dans le texte même : – La leçon du 11 janvier consiste en ce que Lacan appellera le tracé de l’aliénation. Le tracé dont il est question, sera de suivre à la trace l’interrogation du statut du sujet, à partir du cogito cartésien, dans le rapport de la pensée à l’être. Nous reprendrons donc les éléments qui ont fait l’objet de l’exposé de Pierre Christophe Cathelineau, hier. Nous reprendrons ce chemin déjà tracé par lui quant aux questions essentielles. Comme vous savez, Lacan fait connaître à l’aphorisme de Descartes une série de transformations, reprises systématiquement dans un groupe de Klein, afin de permettre une lecture, à la trace, de l’apport freudien quant au sujet de l’inconscient. Je voudrais également indiquer l’outil précieux que constitue l’ouvrage de Marc Darmon pour aborder cette leçon importante et difficile. – La leçon du 18 janvier permet de préciser ce qu’il en est de la fonction du grand Autre, en tant que S de grand A barré, dans cette opération d’aliénation. – La leçon du 25 janvier porte sur la fonction de l’objet petit a, en tant qu’opérateur de la vérité de l’aliénation. Ces trois leçons forment un ensemble. Elles amènent la conclusion que, en tant que conséquence du cogito, le Je est mis à une place qu’en réalité il n’occupe pas. – Le 1er février : invitation de Jakobson. – Le 8 février : interview radiophonique, présentation des Ecrits. – Reprise le 15 février sur une leçon majeure, sur l’invocation de la répétition. Le sujet ne peut pas se dire. Lacan croise le parcours de l’aliénation avec le concept de répétition. Il fait un retour au séminaire sur l’identification. Il fait référence à la topologie : l’acte y apparaît, en tant que coupure, comme support du sujet. – La leçon du 22 février permet d’envisager un autre mode de coupure : l’acting comme mode de coupure Autre. Abord de la sublimation et de la question de la satisfaction de la répétition.
L’exposé qui va suivre se fera au plus près du texte. Nous n’avons pas le choix. En effet, Lacan se montre très démonstratif. Il procède, pas à pas, à un déroulement logique précis et serré. Nous allons donc suivre cette présentation systématique… au risque du paradoxe de remettre le JE à la place qu’il n’occupe pas.
Dans ces leçons, Lacan revient plusieurs fois sur la question de la modification du statut du sujet par le savoir (c’est la question qu’il pose à Jakobson). Quel est le statut du savoir psychanalytique ? (Leçon du 15 février) A l’instar des formes de la négation, on peut concevoir qu’il y ait des modes d’ignorance, parmi lesquels celui d’ignorer toujours. Faut-il pour autant toujours ignorer ?
Leçon du 11 janvier TRACE DE L’ALIENATION OU JE NE PENSE PAS, OU JE NE SUIS PAS
Partons du choix d’aliénation articulé à partir de la formule « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas ». On y repère le vel de l’aliénation. On y repère par ailleurs la forme de la négation. Ces deux caractéristiques mises ensemble font qu’on a plus tout à fait affaire à un vel de l’aliénation. C’est plus ou moins cela mais pas tout à fait. Lacan le précise à la leçon précédente.
Ces propositions, Lacan les présente dans des cercles de Euler. Elles constituent donc, pour lui, des ensembles. Et dès lors, il fait référence aux lois de de Morgan qu’il applique ici.
Et plus particulièrement que dans l’ensemble formé par deux propositions, la négation de l’intersection (à savoir ce qu’il en est de ce que A et B soient ensemble) est représentée par la réunion de la négation de A et de la négation de B. Ce qui s’écrit . On a donc, au lieu de l’intersection de non A et de non B, un ensemble vide. Et Lacan compte bien tirer profit de ce dispositif pour poser la question du sujet de l’énonciation. Car, comme vous le savez, l’existence du sujet de l’énonciation se fonde sur la possibilité de l’ensemble vide comme tel. Au niveau de la théorie des ensembles, la transformation morganique consiste en ceci : Dans toute formule où nous avons quelque ensemble, l’ensemble vide, le signe de la réunion et le signe de l’intersection, en les échangeant deux par deux c’est-à-dire en substituant à l’ensemble, l’ensemble vide ; à l’ensemble vide, un ensemble ; à la réunion, l’intersection ; à l’intersection, la réunion ; nous conservons, dès lors, la valeur de vérité qui a pu être établie dans la première formule. C’est là une clef pour résoudre les questions posées, hier. Il y a un dispositif d’axiomes dont Lacan va faire systématiquement usage.
Une image simplificatrice me vient, elle est à prendre avec réserve car elle permet seulement d’imaginariser ce dont il est question : supposons un lieu que vous pourriez habiter ; dans l’habitation entrevue, il y a une pièce vide que vous pourriez destiner à tel ou tel usage ; la destination projetée de ce lieu (bibliothèque, fourre-tout…) ne serait pas sans conséquence avec les autres pièces. Cette image permet d’entrevoir la mobilité du dispositif mis en place. Lacan, quant à lui, propose une autre métaphore, celle d’un passez-muscade – « assez réussi », précise-t-il dans le résumé – concernant la formule de Descartes. Force est de reconnaître qu’à partir du moment où Lacan introduit cette dimension de l’ensemble vide, il restitue dans le respect de la logique, la question du rapport de la pensée et de l’être sous la forme la plus radicale et la plus véridique, qui soit: sous le vel de l’aliénation (un choix nécessairement écorné d’une perte) et sous la forme de la négation (la forme d’expression du sujet). Y mettre un « je pense » puis un « je suis », c’est déjà trancher la question et ça présente toute une série de conséquences.
Il reste à évaluer et le sens du vel qui unit « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas », et la portée que la négation peut prendre.
Concernant la fonction de la négation, Lacan prend un exemple fort, « Je ne désire pas », qui peut prendre plusieurs acceptions : le désir n’est pas mon fait ; il y a quelque chose que je ne désire pas ; ce n’est pas JE qui désire ; bien que je désire, il n’est pas vrai que je désire. On pourra revenir sur ces formes de négation et en quoi elles répondent à la logique d’aliénation du sujet. L’ordre dans lequel ces acceptions sont avancées, n’est pas laissé au hasard : – le désir n’est pas de mon fait : il y a toujours quelque chose qui se présente ; le destin est entre les mains du grand Autre maternel ; tout m’est égal… la référence est A, le grand Autre non barré ; – il y a quelque chose que je ne désire pas : c’est moins l’objet qui compte que la maîtrise que le moi veut exercer dans la situation : faire Un ; nier la Spaltung . On est dans le registre du Moi Idéal… la référence est le Un ; – ce n’est pas JE qui désire : ce Je ne peut qu’entrevoir ce qu’il pourrait advenir dans la rencontre avec un idéal. On est dans le registre de l’Idéal du moi… la référence est le -φ, qui vient se repérer sous la forme d’un manque ; – bien que désirant, il n’est pas vrai que je désire : il y a un écart entre l’énoncé et l’énonciation… la référence est l’objet petit a. Le contenu du séminaire semble faire écho au développement de cette dernière articulation et de la dimension de Verleugnung qu’elle inclut.
Mais revenons à Descartes, le cogito a un sens : c’est qu’au rapport de la pensée et de l’être, il substitue purement et simplement l’instauration de l’être du JE. C’est en cela que Lacan parle du franchissement du cogito, du franchissement de la pensée – qui consiste finalement en un refus de la question de l’être. Ce refus a engendré cette suite qui est la science. Et à l’intérieur des effets de ce franchissement s’est produit la découverte freudienne de l’inconscient. Je cite Lacan : « Ce n’est qu’à l’intérieur – en restant dans les suites de cette limite de franchissement, de cette cassure par quoi, à la question que la pensée pose à l’être, est substituée – et sous la forme d’un refus – la seule affirmation de l’être du JE. C’est à l’intérieur de ceci que prend son sens ce qu’amène Freud, tant du côté de l’inconscient que du côté du ça ». C’est ce que Lacan se propose de démontrer, de montrer comment cela s’articule.
Mais auparavant, il reste un obstacle à franchir, celui constitué par l’ERGO. C’est un ERGO de nécessité. C’est-à-dire qu’entre « je pense » et « je suis », il n’y a pas véritablement d’implication logique. Ce point est déjà évoqué dans le séminaire « L’identification » : « Je pense » est un énoncé de pur non-sens car il se substitue à l’acte qui le précède. Et l’ERGO vient ici occuper la place de l’ensemble vide. C’est pourquoi Lacan pointe dans le cogito même, les amorces du paradoxe qui est celui qu’introduit le recours à la formule morganique : y a-t-il un être du JE hors du discours ? C’est bien la question que tranche le cogito cartésien. L’ERGO est le nerf du cogito. Il induit naturellement, par voie de conséquence, le recours à un Autre divin, à un Autre non barré.
Alors l’aliénation que Lacan veut désigner, en quoi consiste-t-elle? « Plût au ciel, donc, que l’aliénation consistât en ce que nous nous trouvions au lieu de l’Autre à l’aise. » Le fait de l’aliénation, ce n’est pas que nous soyons repris, représentés dans l’Autre. Mais il est essentiellement fondé sur le rejet de l’Autre, pour autant que cet Autre est ce qui est venu à la place de cette interrogation de l’être, cet autour de quoi Lacan fait tourner le franchissement du cogito.
Voilà ! Je pense qu’avec ses préalables, nous avons de quoi avancer sur le tracé que Lacan nous propose. (On se référera au tableau du quadrangle de Klein tel qu’il figure dans la publication, leçon du 11 janvier, p. 138 de la dernière édition). Nous pouvons passer au quadrangle. Lacan ne dit pas grand chose sur la construction de ce quadrangle. Il cite l’article de Barbut au début du Séminaire ; il donne quelques précisions dans le résumé qu’il en fait (sur la position quadrique) ; on trouve ça et là quelques éclaircissements, notamment tout à la fin de la leçon du 22 février (p. 230, sur les rapports d’équivalence, on y viendra) .
Quel en est le point de départ ? Une existence pourrait-elle se tenir dans une oscillation partagée entre les deux positions « ou je ne pense pas » et « ou je ne suis pas » ? Est-ce que ce point de vue évoquerait en écho, quelque chose rencontré dans la clinique ? En fait, au départ, nous n’avons pas le choix, nous n’avons pas le choix à partir du moment où ce JE, comme instauration de l’être, a été choisi. Nous n’avons pas le choix, c’est le « je ne pense pas » vers quoi il nous faut aller.
JE NE PENSE PAS
Quelque chose apparaît qui est une forme de négation mais de négation qui ne porte pas sur l’être mais sur le JE lui-même en tant que fondé sur le JE NE SUIS PAS connexe au choix du JE NE PENSE PAS. Quelque chose surgit dont l’essence est de n’être PAS JE à la place même de l’ergo. C’est ici que Lacan situe le « ça » freudien. « Le ça qui est dans le discours, en tant que structure logique, tout ce qui n’est pas JE, c’est-à-dire tout le reste de la structure logique, c’est-à-dire la grammaire ». Dans « Un enfant est battu », point de JE. Le JE est précisément exclu du fantasme. Il y a donc une division entre le JE qui parle et ce qui reste comme articulation de la pensée, comme simple structure grammaticale d’une phrase.
JE NE SUIS PAS
Deuxième articulation possible, à l’opposé, nous avons : JE NE SUIS PAS. C’est le registre de l’inconscient freudien avec l’effet de surprise dont le mot d’esprit est le plus révélateur. Car le rire se produit au niveau de ce JE NE SUIS PAS. On assiste à une manifestation opposée à la seule structure grammaticale du ça puisque ici s’opère un effet de sens, plus précisément une BEDEUTUNG, selon le concept de FREGE. Le JE du JE NE SUIS PAS s’aliène lui aussi en quelque chose qui est un pense-chose, en référence à la conception freudienne de Sachevorstellung : l’inconscient est constitué par des représentations de choses.
En conclusion, nous avons deux types d’aliénation : « De même que nous avons vu que le ça était une pensée perdue de quelque chose qui est, non pas le retour de l’être mais quelque chose comme un désêtre, de même l’inexistence au niveau de l’inconscient est quelque chose qui est mordu d’un JE PENSE qui n’est pas JE.
Le modèle de l’inconscient, c’est un « ça parle » mais à condition qu’on s’aperçoive bien qu’il ne s’agisse de nul être.
En fonction de ce que nous verrons par la suite, nous pouvons avancer que ce « ça parle » correspond à un enchaînement littéral, à un non-sens radical qui fonctionne non par la grâce d’un sujet mais en tant que le grand Autre est barré et qu’au niveau de l’inconscient, il y ait ce reste qui est l’objet petit a.
Lacan évoque brièvement à la fin de la leçon, le quatrième terme, le terme quadrique, où le « je ne pense pas » vient non se conjoindre au « je ne suis pas » mais où ces deux opérations s’éclipsent, s’occultent l’une l’autre. Et c’est à la place du JE NE SUIS PAS que le « ça » va venir, le positivant en un « Je suis ça » ! Lacan donne son poids à l’aphorisme de Freud : « Wo es war, soll Ich werde. » Il est question du terme de l’analyse.
La leçon se termine sur une fin un peu dense et difficile car il est question d’une part, de la position essentielle du JE dans la structure masochiste et d’autre part de la marque de la Bedeutung du phallus du côté de l’inconscient. Ce sont là des notions qui seront reprises plus loin. Mais on peut toutefois anticiper concernant le terme quadrique.
Le JE doit, non pas déloger le « ça », mais a à venir s’y loger, à se loger dans sa logique, c’est-à-dire dans la structure où il rencontre l’objet petit a. Et de façon inverse, l’inconscient peut venir à la place du JE NE PENSE PAS rendre manifeste que la différence sexuelle ne se supporte que de la BEDEUTUNG de quelque chose qui manque sous l’aspect du phallus. L’intersection des cercles de EULER donne, pourrait-on dire, deux sortes de « Là où c’était » selon la différence que Lacan pointe dans la conception freudienne entre le ça et l’inconscient.
Leçon du 18 janvier
FONCTION DU GRAND AUTRE
Lacan propose de revenir avec plus d’insistance sur l’opération qu’il désigne sous le terme d’aliénation. Il propose de le faire en éclairant ce qu’il en est de la fonction du grand Autre : « La fonction de l’Autre se situe dans le registre de l’inconscient et présente une articulation logique qu’il s’agit de préciser ». Il y a là une difficulté car les manifestations de l’inconscient ne semblent pas tenir compte des lois de la logique.
Nous sommes au niveau d’une pensée qui n’est pas JE. Et dans ce cadre, dans l’interprétation des rêves, Freud fait remarquer que – les pensées du rêve, les Traumgedanken, restent indépendantes de toute logique. – Plus précisément que la négation comme telle ne saurait s’y représenter de même que l’articulation causale, la subordination, le conditionnel… bref que les pensées du rêve ne suivent pas les lois de la logique.
C’est peut-être que la logique se situerait à un autre niveau, en l’occurrence à chercher dans les rapports d’un quelconque sujet avec le Réel. Et pour prendre un raccourci, je citerais cet extrait du résumé fait par Lacan: « Il n’y a pas d’autre entrée pour le sujet dans le réel que le fantasme ».
Pour avancer, centrons-nous sur cette fonction du grand Autre ; « Il s’agit, dit Lacan, de définir l’Autre comme lieu de la parole, c’est-à-dire qu’il n’est rien d’autre que le lieu où l’assertion se pose comme véridique ; c’est-à-dire, du même coup, qu’il n’a aucune espèce d’existence ». C’est pourquoi Lacan propose l’écriture , S de grand A barré. Il précise : « Je ne peux pas le dire, mais je peux l’écrire , signifiant de l’Autre barré comme constituant un des points nodaux autour duquel s’articule toute la dialectique du désir en tant qu’elle se creuse de l’intervalle entre l’énoncé et l’énonciation ».
. Evoquons ici la Selbstbewustsein, la conscience de soi comme tentative de restaurer le grand Autre non barré. Lacan instaure un dialogue avec ce terme, qui renvoie à la position existentialiste. Passons rapidement sur le fameux argument ontologique de saint Anselme : l’idée de Dieu comme preuve de son existence, c’est une démonstration, non de la toute puissance de la pensée, mais de son impuissance. « C’est démontrer en articulant quelque chose sur la pensée que celui qui avance cela ne sait pas ce qu’il dit ». On est dans le registre du non-sens ; à la même enseigne que la formule de CHOMSKY : « colourless green ideas sleep furiously », tout ce qui a simple forme grammaticale fait sens. L’aliénation ne veut pas dire que nous nous en remettons à l’Autre, mais au contraire que nous nous apercevons de la caducité de tout ce qui se porte sur ce recours à l’Autre. L’aliénation se présente donc comme chute de l’Autre.
On glisse d’un coin du quadrangle à l’autre opposé.
L’intérêt pour la structure grammaticale nous amène à considérer sous cet angle, ce que fait Freud quand il articule la pulsion. La pulsion sadomasochiste La pulsion scoptophilique Quel que soit le type de pulsion : « Il n’est que dans un monde de langage que du sujet de l’action va surgir la question qui le supporte, à savoir pour qui agit-il ? » On voit donc cet appel au grand Autre et la position subjective particulière qui en découle par rapport au désir : « le sujet ne s’y retrouve pas », « le désir est un désir qu’il n’assume pas, qu’il ne veut que malgré lui ».
Et par ailleurs, au niveau de l’inconscient, où est le Ich ? Dans le contenu du rêve, à savoir dans cet ensemble de signifiants dont un rêve est constitué par différents mécanismes qui sont ceux de l’inconscient – la condensation, le déplacement – le Ich est présent dans tous, c’est-à-dire qu’il y est absolument dispersé.
On peut revenir sur les rêves abordés : – le rêve où il faut fermer ou bien un oeil, ou bien les deux yeux – le rêve du Volksgarden, des trois femmes au bordel
Rêves desquels Freud dégage les lacunes, les moments de flottement, d’interruption, de rupture dans le récit et dont il souligne qu’ils font partie du rêve. Qu’est-ce que ceci désigne ? Quoi d’autre sinon la carence des signifiants pour aborder ce qu’il en est des rapports du sexe comme tel. C’est pourquoi Lacan fait apparaître dans le coin du schéma à gauche (-φ) : le -φ de l’échec de l’articulation de la Bedeutung sexuelle. Mais on pourrait tout aussi bien concevoir que ce -φ ait sa place à droite. Rappelez-vous que les lois de de Morgan permettent d’envisager les deux possibilités.
Ainsi donc il y a deux opérations également aliénantes : 1) celle de l’aliénation pure et simple, logique 2) celle de la relecture de la même nécessité aliénante dans la bedeutung des pensées inconscientes
Dans les deux cas, les résultats sont différents suivant le point de départ et le parcours effectué. Et Lacan pose la question : « Mais alors pourquoi y a-t-il deux voies, deux accès ? C’est sans doute qu’il y a quelque chose qui mérite un nom dans l’opération 1) soit celle qui fait passer du niveau de la pensée inconsciente au statut logique théorique 2) et inversèment celle qui fait passer de ce statut du sujet des pulsions (scoptophiliques, masochistes) au statut du sujet analysé pour autant que la fonction de la castration ait un sens.
C’est l’opération de vérité autour de quoi Lacan entend définir, dans son statut logique, la fonction de l’objet petit a.
Leçon du 25 janvier
SUR LA FONCTION DE L’OBJET A, OPERATEUR DE LA VERITE
Ce qui supporte la vérité de l’aliénation, c’est l’objet petit a dont l’articulation avec la logique de l’aliénation reste à développer.
A ce propos, Lacan rappelle une série de points :
1) D’abord, premier point, que la castration n’est pas sans rapport avec cet objet en tant que l’objet a est cause du désir et que ce désir, pour autant qu’il se limite à cette causation par l’objet petit a, c’est exactement le même point qui nécessite qu’au niveau de la sexualité, le désir se représente par la marque d’un manque qui s’ordonne, qui a son origine dans le rapport sexuel tel qu’il se produit chez l’être parlant autour du signe de la castration, autour du phallus donc, en tant qu’il représente la possibilité du manque d’objet.
2) Par conséquent – et c’est le deuxième point de rappel – il importe que l’autre du vécu inaugural, le grand Autre maternel, apparaisse comme castré pour permettre l’éveil et l’accès à la sexualité car, je cite Lacan : « la sexualité, c’est quelque chose qui représente un ‘se défendre’ de donner suite à cette vérité qu’il n’y a pas d’Autre. » Le grand Autre est marqué d’une barre, celle de la castration primitive atteignant l’être maternel.
Les deux premiers points sont à considérer ensemble : la marque dans l’Autre a pour tenant lieu la marque de la castration.
3) Le petit a dans le chemin que trace l’analyse, c’est l’analyste. (Le sujet, rien n’est plus vide que cette formule qui en est la représentation. Le Je n’est rien de plus que l’opacité de la structure logique. Au « Reconnais-toi, tu es ceci », la cure analytique permet d’y substituer dans le transfert un « Tu n’es que ce rien que je suis ».)
4) C’est dans les trous de la Bedeutung, dans la syncope de la bedeutung que se manifeste tout ce qui atteint l’objet petit a. « Qu’est-ce qu’un beau sein ? », demande Lacan. Ce qui est susceptible de supporter la Vorstellung d’un beau sein, ce qu’il en est de cet objet, c’est le caractère structural du Sinn (Colorless ideas green….) En somme quelque chose qui, là, permet d’évoquer le rôle de l’objet « sein » dans le fantasme en tant qu’il est banni de son rôle de support de la pulsion orale. (Référence à la poésie)
5) C’est bien l’objet petit a qui permet à la psychanalyse de suppléer à la Selbstbewustsein
Nouveau retour à Freud et à l’interprétation des rêves… – Tel rêve qui contredit sa théorie du désir ne signifie rien d’autre pour Freud que le désir de lui donner tort. Si le désir, c’est le désir de l’Autre et si l’Autre est dit n’existant pas, on peut entrevoir dans quel suspens le statut du désir est laissé. – « Rêver qu’on rêve » traduit le désir de dormir du fait de l’instance du préconscient mais il est aussi le signe de l’approche imminente de la réalité. De quelle réalité s’agit-il ? Quand Tchouang Seu sort du rêve où il se voit papillon , sans doute est-il probable qu’il se sera dit : ce n’est qu’un rêve. Et c’est précisément en quoi on manque la réalité car s’il y a bien quelque chose qui révèle ce qui est le JE de Tchouang Tseu, c’est que l’objet est vu.
Ces différents points sont un rappel de la fonction de l’objet petit a et de sa corrélation au JE. Cependant, au vu de la diversité des objets a, qu’est-ce qui permet l’instauration d’un statut tel que cette corrélation étroite de l’objet petit a au JE apparaisse comme le support du désir ? C’est là où Lacan annonce les leçons suivantes qui auront pour objet d’inscrire de façon plus précise l’invocation de la répétition. Que l’invocation de la répétition permette à l’objet a de donner un statut au JE en tant qu’il se présente comme support au désir, c’est une question de topologie. Si le sujet ne peut se dire, il peut toutefois être représenté structurellement par la topologie. Pour reprendre Lacan : « Si le sujet ne peut s’inscrire dans un certain rapport de perte par rapport à un champ où se dessine le trait dont il s’assure dans la répétition, c’est que ce champ a une structure topologique. »
Alors – notion de surface, comme effet du trait et de la coupure – Lacan indique par quoi il compte reprendre la leçon prochaine.
1er février
INVITATION DE JAKOBSON
COGITO ERGO ES Traduction : Je pense donc ça… Es, un mauvais Moi ? Traduction : Je pense donc tu es… ce qui engage aux désarrois de l’intersubjectivité.
Introduction de leçon où Lacan pose la question de l’impact de la réalisation de l’objet freudien sur un nouveau statut du Sujet. Comment est-il possible de se tenir en référence à la position d’un grand Autre barré ? La question concerne l’analyste dans sa pratique La question concerne l’impact du savoir analytique sur le statut du sujet La réponse est à situer dans la structure. La structure, c’est le réel. Référence à la bande de Moebius.
8 février
PRESENTATION DES ECRITS INTERVIEW RADIOPHONIQUE
La question de la structure est sous-jacente au lieu de l’Autre. L’inconscient structuré comme un langage est une question de logique : l’inconscient est lié à la structure de la répétition. L’inconscient n’est pas le mauvais moi.
Leçon du 15 février
INVOCATION DE LA REPETITION L’ACTE COMME PREMIER MODE DE COUPURE
La leçon du 15 février débute par une articulation qui a donné lieu à deux lectures qui méritent d’être signalées.
« Il me faut avancer, commence Lacan, et démontrer par le mouvement de quelle nature est le savoir analytique. Très exactement, comment il se fait qu’il passe, ce savoir, dans le Réel. » Au vu de la prétention croissante du JE à s’affirmer comme fons et origo de l’être, à force de voir le JE se penser à une place qu’il n’a pas, il y a Verwerfung, c’est-à-dire, donc, que ce qui est rejeté dans le symbolique doit reparaître dans le Réel.
Première lecture : Le sujet en tant que JE du cogito est nécessairement forclos et reparaît dans le Réel, quelque part à cerner dans la structure, entre l’énoncé et l’énonciation, au regard de la double opération d’aliénation. L’idée serait celle d’une Verwerfung originaire. D’où : il n’y pas d’autre entrée pour le sujet dans le Réel que le fantasme. Si la pensée est un effet du signifiant et si l’apport freudien consiste à suivre cette pensée à la trace, il convient de s’en retourner à Freud, précisément à cette intrusion conceptuelle que constitue le concept de répétition, concept que Freud introduit pour donner son état définitif au statut du sujet de l’inconscient.
Seconde lecture : Le sujet de la science est ce à quoi la psychanalyse a affaire parce que ce sujet, faux-être, est le fruit de la scotomisation de l’inconscient. Et la psychanalyse ne saurait rester étrangère au sujet de la science qui exemplifie, par la forclusion du sujet divisé, l’incidence subversive de l’inconscient et la structure subjective qui en résulte.
Cette seconde lecture est incontestablement plus près du texte, on trouve à la fin de la leçon du 1er mars quelque chose qui appuie ce point de vue à propos de l’illusion de la connaissance. Je cite : « Le sujet de la connaissance nie le moins quelque chose autour de quoi se fait l’effet de causation du désir ». Mais, Lacan poursuit : « Le rejet de la castration marque le délire de la pensée, c’est-à-dire l’entrée de la pensée du JE, comme tel, dans le Réel, qui est proprement ce qui constitue, dans notre premier quadrangle, le statut du JE NE PENSE PAS en tant que – seule – le soutient la syntaxe. » (version Sizaret) Refus de la castration corrélative au gommage de la barre sur le grand Autre. Toutefois, dans le texte initialement diffusé, on trouve non pas le délire de la pensée mais le début de la pensée. (Avant-dernier paragraphe de la leçon du 1er mars) Alors, « début de la pensée » ou « délire de la pensée » ? Ce n’est pas tout à fait la même chose. Déjà, « ou je ne pense pas », « ou je ne suis pas », ce n’est déjà pas facile à encaisser. Mais certains sont prêts à pousser le bouchon encore plus loin. En somme, « début de la pensée » et « délire de la pensée », vous voyez, on trouve d’un côté les optimistes et de l’autre, les pessimistes.
Selon ces deux approches, il est entendu que le sujet ne peut pas se dire. Sauf par la négation. Cependant, on ne trouve pas de référence à la Verneinung, ici on parle de Verwerfung et plus loin concernant l’acte, de la Verleugnung, voire même d’une proximité conceptuelle entre la Verwerfung et la Verleugnung.
Le sujet ne peut pas se dire. D’où le calembour de Lacan : Cogito ergo es. Le cogito instaure la répétition d’un recours à un grand Autre non affecté par la barre, ouvrant la voie au « ça », d’une part et modélisant les repérages imaginaires sur le mode de l’intersubjectivité, d’autre part.
Le sujet ne peut pas se dire. C’est pourquoi Lacan fait ce recours à la topologie et au concept de la répétition.
Concept de répétition, dont Lacan souligne avant tout l’essentiel de l’apport freudien, à savoir qu’au-delà du principe de plaisir, il y a cette marque de la pulsion de mort que Freud a saisi à la trace dans son expérience clinique, dans la réaction thérapeutique négative notamment, mais aussi quand il aborde l’interrogation sur le masochisme primordial, l’organisation de la maladie ou de l’échec comme une pensée de répétition.
Par delà ce rappel freudien, Lacan travaille l’idée qu’on pourrait faire de la répétition le principe d’un champ en tant qu’il serait proprement subjectif.
C’est dans ce contexte qu’il revient à des développements exposés dans le séminaire « L’identification » : – à savoir que la répétition du trait unaire opère le rôle de repère symbolique, précisément de n’exclure que ce soit ni la similitude, ni donc non plus la différence qui se pose au principe de la différenciation. Lacan rappelle l’usage qu’il fait du UN qu’il distingue du UN unifiant pour le désigner comme un UN comptable – à savoir qu’il y a une structure externe à la répétition. Précisément, qu’une situation qui se répète comme situation d’échec implique des coordonnées signifiantes comme signe de ce qui doit être répété. Mais que ce signe n’est pas porté comme tel dans la situation première. Il y a quelque chose de perdu par le fait de la répétition. Lacan le signale à différents endroits chez Freud et notamment pour ce qui concerne l’URVERDRANGUNG.
Nous pouvons ici déjà entrevoir l’intérêt de cette insistance logique. Si d’un point de vue logique, la trace première n’est pas marquée du signe de la répétition, si elle devient la situation répétée, c’est que la trace se trouve référée à quelque chose de perdu du fait de la répétition. Nous trouvons ici l’objet petit a.
Lacan voit dans la démarche freudienne concernant le concept de répétition non pas une rupture par rapport à ses conceptions antérieures mais comme le point de préparation – par une signification entrevue – comme le point de préparation de quelque chose qui trouve son statut logique dernier sous la forme d’une loi constituante du sujet.
Lacan reprend la figure topologique du graphe de la répétition : le huit inversé, la double boucle, qui représente que « par l’effet du répétant ce qui était à répéter devient le répété ».
Lacan s’insurge donc contre l’inclination à voir la répétition comme une fonction de régression. Et il pose la question : qu’est-ce que cette involution signifiante que constitue la répétition, peut apporter comme éclairage à ce que désormais on peut entendre sous le terme d’aliénation ?
En ce sens, il propose : « Nous avons avancé d’abord que l’aliénation, c’est le signifiant de l’Autre en tant qu’il fait de l’Autre un champ marqué de la même finitude que le sujet lui-même, le , S de grand A barré. De quelle finitude s’agit-il ? De celle que définit dans le sujet le fait de dépendre du signifiant. L’Autre comme tel, le lieu de l’Autre se trouve sous le coup de la même finitude. Le phénomène n’est pas à considérer comme un défaut, mais comme un fait de structure. Le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. L’inconscient est structuré comme un langage.
Lacan introduit ensuite des notions abordées dans le séminaire « L’Angoisse » et qu’il reprendra plus loin dans le séminaire « La logique du fantasme », à savoir la polarisation sur la demande de l’Autre dans les névroses, celle de l’angoisse de l’Autre dans la position masochiste et celle enfin sur la jouissance de l’Autre dans les perversions. Il laisse momentanément ces éléments sur le côté.
Et il porte notre attention sur les conséquences à tirer du rapport du graphe de la répétition avec ce qu’il a avancé concernant le choix fondamental de l’aliénation. Quel rapport y a-t-il entre ce passage à l’acte de l’aliénation et la répétition elle-même ?
C’est de l’acte dont il s’agit. A propos duquel il avance les prémisses topologiques suivantes : c’est que la double boucle du tracé de la répétition conduit à une série de figures topologiques : le tore, le cross-cap, la bouteille de Klein… ce sont des surfaces autorisant le bâti du fantasme (pour reprendre cette jolie formule avancée hier). Mais la surface la plus caractéristique pour imager ce qu’il en est de la fonction de la double boucle, c’est la bande de Moebius.
Comme vous savez, quand on coupe une bande de Moebius par son milieu, les propriétés (un seul bord et le caractère uni face) disparaissent. Après la coupure, il n’y a plus de surface de Moebius. Elle disparaît dans la coupure. Plus exactement, elle est la coupure elle-même puisque si on se met à recoudre les bords obtenus, eh bien, on obtient un tore.
Ces faits topologiques sont propices, nous dit Lacan, pour imager quelque chose dont il s’agit dans l’aliénation, dans les deux sens, c’est-à-dire dans les deux opérations : celle relative au JE de l’aliénation (Es) et celle révélée par la position de l’inconscient dans les conditions spécifiques de l’analyse.
Et là, on peut revenir au quadrangle et aux cercles de Euler. En somme, nous avons, de part et d’autre, deux ensembles qui se trouvent écornés et par ailleurs un milieu figurant quelque chose de perdu, ce que, dans le cas de figure que nous venons d’envisager, constitue la coupure.
On a d’un côté, l’acte d’aliénation dans l’opération logique de l’aliénation, auquel correspond le passage à l’acte. On a de l’autre côté, l’alternative aliénante à laquelle Lacan fait correspondre l’acting out.
Deux modes de coupures. L’acte apparaît comme premier mode de coupure au regard de la répétition. Comment définir un acte ? J’avance la définition qui en sera donnée à la leçon suivante : 1) l’acte est un signifiant 2) il est un signifiant qui se répète, il y a donc une répétition intrinsèque à tout acte 3) il est l’instauration du sujet comme tel ; plus précisément, le sujet est dans l’acte représenté comme division pure, par l’aspect de Repräsentanz de la Vorstellungsrepräsentanz 4) Il y a un corrélat de méconnaissance inhérente sur le mode de la Verleunung : le sujet dans le moment même ne reconnaît pas cet acte dans sa véritable portée bien qu’il puisse reconnaître l’avoir commis ou posé
Et Lacan d’ajouter : « Je ne peux ici qu’indiquer en passant – car nous aurons à y revenir – que l’important n’est pas tellement dans la définition de l’acte que dans ses suites. Je veux dire : de ce qui résulte de l’acte comme changement de la surface. Car si j’ai parlé de l’incidence de la coupure dans la surface topologique, qui se dessine comme celle de la bande de Moebius – si après l’acte, la surface est d’une autre structure dans tel cas – si elle est d’une structure différente dans tel autre – ou même si, dans certains cas, elle peut ne pas changer, voilà qui va, pour nous, nous proposer des modèles à distinguer ce qu’il en est de l’incidence de l’acte, non pas tant dans la détermination que dans les mutations du sujet . »
Il note juste après que « ce qui est de l’ordre de la Verleugnung est toujours ce qui a affaire à l’ambiguïté qui résulte des effets de l’acte comme tel. »
L’acte comme division serait-il à promouvoir comme support du sujet ?
On est en droit de se poser la question à la fin de cette leçon. Toutefois, il y a un frein à s’engager dans cette voie, vu qu’il y a une autre possibilité de coupure qui nous est donnée dans la partie impossible à choisir de l’aliénation, mise à notre portée par le biais de la psychanalyse ; la même coupure intervenant à l’autre pôle, celui relatif à la dimension de l’inconscient.
C’est ce que Lacan propose d’aborder à la leçon suivante concernant l’acting out.
Leçon du 22 février
DU STATUT DE L’ACTING OUT LA SUBLIMATION COMME SATISFACTION DE LA REPETITION
Commençons cette fois par le point d’aboutissement de la leçon… point d’aboutissement qui sera aussi celui des leçons que nous travaillons aujourd’hui.
« S’il y a quelque chose d’intéressant, nous dit Lacan tout à la fin, s’il y a quelque chose d’intéressant dans cette présentation en quadrangle, c’est qu’elle nous permet d’établir aussi certaines proportions. »
Alors comment procède Lacan pour arriver à cela ?
Poursuivons, suggère-t-il au début de la leçon, en rappelant d’où nous partons, l’aliénation. En résumé, l’aliénation c’est l’élimination hors d’un seuil. « Le seuil dont il s’agit c’est celui qui détermine la coupure en quoi consiste l’essence du langage. » La linguistique est la théorie de référence à cet égard (et non la sémiologie, ironise Lacan). L’Autre est éliminé en tant que champ clos et unifié.
Et Lacan de revenir sur l’opération de vérité décrite précédemment. La vérité se fait reconnaître seulement en ceci qu’elle nous surprend et qu’elle s’impose. Exemple : il n’y a pas d’autre jouissance que celle du corps. Autre exemple : celle de la vérité énigmatique du symptôme. A cet égard, l’énigme a déjà ceci de résolu, c’est qu’elle n’est qu’un rébus. Le symptôme apparaît comme opacité subjective car le sujet est parfaitement chosique. A l’évidence, il est évidé.
L’acting sera articulé en tant qu’il se situe à cette place élidée où quelque chose se manifeste du champ de l’Autre éliminé, sous sa forme de manifestation véridique.
Tel est fondamentalement le sens de l’acting out. L’acting out a à voir avec ce qu’institue l’expérience analytique.
Il n’y a pas d’autre développement concernant ce point. La spécificité de l’acting se laisse déduire par le concept de répétition, en tant qu’un pont se trouve jeté entre la logique et la vérité. L’acting se définissant par rapport à la double boucle où la répétition en vient à désigner le sujet comme effet de coupure.
Lacan poursuit en inscrivant quatre termes au quadrangle, quatre termes qui concernent quatre fonctions opératoires articulées sur la base de la répétition. (Voir le tableau à la leçon du 22 février de la publication, p. 218)
Avec un effet de surprise, Lacan arrive à ce quatrième terme : la sublimation.
La sublimation est un point conceptuel qui est resté dans un certain suspens dans la théorie de Freud et qui a donné lieu à pas mal de faux-semblants. A ce propos, il épingle trois articles pour ensuite passer à l’essentiel concernant la sublimation.
La sublimation est définie par Freud de la façon suivante : – ZIELGEHEMMT, d’une part c’est-à-dire inhibée quant au but – Mais à la fois, d’autre part, la satisfaction y est rencontrée sans aucune transformation, déplacement, alibi, répression, réaction ou défense. La finalité sexuelle n’est nullement inhibée dans la sublimation : la pulsion sexuelle ne perd en rien sa capacité de Befriedigung, de satisfaction.
Pour aborder ce qu’il en est de la sublimation, Lacan revient à la définition de l’acte (c’est un signifiant, qui se répète, il instaure le sujet comme tel, avec son corrélat de méconnaissance) pour insister en particulier sur ce dernier point, la méconnaissance avec sa dimension de verleugnung, c’est-à-dire quand le sujet ne reconnaît jamais dans sa véritable portée inaugurale cet acte, même s’il l’a commis. « Eh bien, signale Lacan, c’est qu’il convient que nous nous apercevions de ceci – qui est essentiel à toute compréhension du rôle que Freud donne dans l’inconscient à la sexualité – que nous nous souvenions de ceci, ce que la langue déjà nous donne, à savoir : (C’est) qu’on parle de l’acte sexuel. »
C’est à ce titre que Lacan introduit quelque chose concernant la sublimation, quelque chose qu’il reprend de la communication qu’il a faite à Berlin en 1958 et qui est reprise dans Les Ecrits, Die Bedeutung des Phallus … et qu’il reformule ici.
En somme, qu’est-ce qui dans l’acte sexuel serait en rapport avec la fonction de répétition ? Lacan établit un rapport entre grand A, le UN, le -φ et l’objet a. Où « le phallus comme signifiant donne la raison du désir dans l’acception où le terme est employé comme moyenne et extrême raison de la division harmonique ».
C’est précisément dans la mesure où quelque objet peut venir prendre la place que prend le -φ dans l’acte sexuel que la sublimation peut donner le même type de Befriedigung qui est donné dans l’acte sexuel.
Nous pouvons compléter la citation énoncée au début : « Si le passage à l’acte remplit certaines fonctions par rapport à la répétition, il nous est au moins suggéré, par le dispositif du quadrangle, par cette disposition, que ce doit être la même qui sépare la sublimation de l’acting out. Et dans l’autre sens : que la sublimation, par rapport au passage à l’acte, doit avoir quelque chose de commun dans ce qui sépare la répétition de l’acting out. »
Les aspects plus précis des proportions envisagées feront l’objet des leçons suivantes.
Je pense que l’on peut laisser cela pour demain. Je vous remercie.
Christian Ghistelinck